Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 9.djvu/256

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rappeler aux réalités la pauvre prisonnière. Un joyeux oiselet s’en vient, voletant, effleurer d’une aile légère le vitrail de la croisée ; à la vue de cet oiseau, libre dans l’espace, l’héroïne, cédant à un douloureux retour sur elle-même, retombe de toute la hauteur de sa radieuse espérance, soupire, baisse la tête, et des larmes roulent dans ses yeux. Ces diverses émotions ne lui ont pas permis de remarquer la joie féroce des prêtres-juges inscrivant sur leurs tablettes ces deux énormités ajoutées à tant d’autres aveux monstrueux qui doivent la conduire au bûcher :

« Ladite Jeanne a volontairement risqué le suicide en se précipitant du haut en bas de la tour de Beaurevoir.

» Ladite Jeanne a la sacrilège audace de se dire, de se croire aussi sûre du paradis que si elle y était déjà ! »

Mais la tâche des bourreaux n’est pas encore accomplie ; l’héroïne est distraite de ses pénibles pensées par la voix de l’évêque Cauchon lui disant :

— Jeanne, croyez-vous être en péché mortel ?

jeanne darc. — Je m’en rapporte à Dieu pour tous mes actes.

l’inquisiteur. — Vous croyez donc inutile de vous confesser, quoique en péché mortel ?

jeanne darc. — Je n’ai jamais commis de péché mortel.

un juge. — Qu’en savez-vous ?

jeanne darc. — Ce péché, mes voix me l’auraient reproché… mes saintes m’auraient délaissée… Mais je me confesserais si je le pouvais… l’on ne peut avoir la conscience trop nette.

l’évêque cauchon. — N’est-ce donc point un péché mortel de prendre un homme à rançon et de le faire mourir prisonnier ?

jeanne darc, avec stupeur. — Qui a fait cela ?

l’évêque cauchon. — Vous !

jeanne darc, indignée. — Jamais !

l’inquisiteur. — Et Franquet d’Arras ?

jeanne darc, consultant ses souvenirs, garde un moment le silence