Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 9.djvu/257

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et reprend. — Franquet d’Arras était un capitaine de routiers bourguignons ; je l’ai fait prisonnier à la guerre. Il a avoué être traître, larron et meurtrier ; son procès a duré quinze jours devant les juges de Senlis. J’avais demandé la grâce de cet homme, dans l’espoir de l’échanger contre un digne bourgeois de Paris captif des Anglais ; mais apprenant qu’il était mort en prison, j’ai dit au bailli de Senlis : « — Le prisonnier dont je comptais obtenir l’échange est mort ; vous pouvez, si bon vous semble, faire justice de Franquet d’Arras, traître, larron et meurtrier. »

un juge. — Avez-vous fait donner de l’argent à celui qui vous a aidé à prendre Franquet d’Arras ?

jeanne darc, haussant légèrement les épaules. — Je ne suis ni monnoyeur, ni trésorier de France, pour faire donner de l’argent à quelqu’un.

l’évêque cauchon. — Vous avez exposé en ex-voto des armes dans la basilique de Saint-Denis ? Quelle intention vous dictait cet acte ?

Jeanne Darc reste silencieuse, absorbée par de cruels souvenirs. Gravement blessée sous les murs de Paris, elle avait ensuite offert en pieux hommage son armure à la vierge Marie, cédant à un nouveau mouvement d’indignation navrante provoqué par la lâcheté de Charles VII, qui, après les prodiges de la victorieuse campagne de l’héroïne, s’en était retourné en Touraine retrouver ses maîtresses ! En vain Jeanne lui avait dit : « — Affrontez les Anglais, qui presque seuls garnissent les remparts de Paris ; présentez-vous hardiment aux portes de cette cité, promettant aux Parisiens l’oubli du passé, la concorde pour l’avenir ; tentez ainsi, presque à coup sûr, la conquête de votre capitale ! » Mais le royal couard avait, comme toujours, reculé devant le péril, au poignant désespoir de Jeanne ; alors, voulant renoncer à la guerre, abandonnant son armure, elle l’avait offerte en ex voto. Jeanne ne pouvait faire un tel aveu à ces prêtres ; non, guidée par la générosité de son âme, éclairée par son rare bon sens, elle eût mieux aimé mourir que d’accuser Charles VII