Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 9.djvu/322

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domination en Gaule ; et tout me le dit : mon petit-fils verra leur expulsion complète de ce royaume.

Arrivé à Rouen le 29 mai 1431, vers la tombée du jour, j’appris donc, dans l’hôtellerie où je logeai, l’apostasie de Jeanne et ses conséquences funestes. Vers le soir, l’on répandit le bruit que la relapse serait brûlée vive le lendemain matin. En effet, au milieu de la nuit, mon petit-fils et moi, ainsi que plusieurs voyageurs, nous fûmes réveillés par un grand bruit ; à la lueur de plusieurs torches portées par des soldats, nous vîmes, par les fenêtres de notre auberge, des charpentiers occupés de dresser des échafauds ; le jour venu, je sortis. Déjà des compagnies d’archers anglais formaient un cordon autour du lieu du supplice et une haie prolongée jusqu’à l’angle d’une rue débouchant sur la place du Marché ; ces deux rangs de soldats laissaient entre eux une large voie, elle communiquait de la rue à l’espace vide réservé autour des échafauds. Ils étaient au nombre de trois ; le plus élevé placé à quelque distance des deux autres. Sur l’un de ceux-là, celui de droite, tendu de draperies pourpres, je vis un siège plafonné d’un dais cramoisi, orné de touffes de plumes blanches à chacun de ses angles, et couturé de galons d’or ; une rangée d’autres sièges à housse également d’étoffe cramoisie accostait ce dais somptueux, où l’on montait par plusieurs degrés de charpente recouverts de riches tapis. L’estrade de gauche, de même hauteur et dimension que celle de droite, était simplement drapée de noir, ainsi que ses banquettes. Le dernier échafaud, pilier massif en maçonnerie, haut de dix pieds environ, large de quatre en tous sens, offrait à son sommet une étroite plate-forme, en son milieu l’on avait scellé un gros poteau garni de ferrements et de chaînes ; l’on parvenait à cette plate-forme par un étroit escalier de bois perdu dans un énorme amoncellement de fagots mêlés de paille, de sarments de vigne, arrosés de bitume et de soufre ; les bourreaux achevaient d’étager ces combustibles le long des quatre faces et jusqu’au faite du pilier. De grands pieux enfoncés en terre, non loin de ce