— Nous défendre ! fol enfant !… Veux-tu donc notre mort à tous ? Hélas ! le Seigneur Dieu nous abandonne !
Et pleurant, gémissant, la pauvre femme, la tête perdue, tirait en hâte des grands coffres, trop pesants pour être transportés au loin, et lançait pêle-mêle sur le plancher de la chambre les meilleures hardes de son mari et les siennes ; sa robe de noce, précieusement empaquetée ; des pièces de toile, d’étoffes de laine, filées ou tissées durant les veillées d’hiver ; la brassière de baptême de Jeannette, pieuse relique maternelle ; toutes choses, enfin, si précieuses à une ménagère. Elle mit à son cou une antique chaîne de vermeil, héritage de sa mère et sa parure aux jours de fête ; elle enfouit dans sa poche une petite tasse d’argent jadis gagnée par Jacques Darc au tir de l’arbalète. Jeannette s’étant, comme ses frères, vêtue précipitamment, entrait en ce moment ; son père et les deux jeunes garçons, sans s’occuper d’elle, se demandaient avec une anxiété croissante s’il valait mieux abandonner le village ou y attendre, à tout hasard, les Anglais. Puis, revenant au seuil de la porte ouverte, ils se montraient, désespérés, l’incendie qui, à deux lieues de là, finissait de dévorer le hameau de Saint-Pierre, sur le bord de la Meuse ; les flammes ne jaillissaient plus que par intervalle et par bouffées, s’élevant alors vers le ciel étoilé comme de grandes gerbes de feu. Et chacun de répéter en se lamentant :
— Maudits soient les Anglais ! malheur à nous !… Que faire ? que faire ?…
Jeannette, apprenant si soudainement l’invasion de l’ennemi, voyant au loin l’incendie, et sous ses yeux son père, ses frères, bouleversés par l’épouvante, sa mère, effarée, entassant en désordre tout ce que la famille pouvait emporter ; Jeannette, d’abord terrifiée, trembla de tout son corps, devint d’une pâleur mortelle ; ses yeux se noyèrent de larmes ; tout son sang affluant à son cerveau, elle éprouva un moment de vertige, un nuage passa devant sa vue, et, trébuchant, elle tomba, presque défaillante, sur un escabeau. Mais