Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 9.djvu/73

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regard pénétrant ; — tu es femme, tu devras chevaucher seule de ton sexe en compagnie des hommes qui t’escorteront, loger pêle-mêle avec eux dans les endroits où vous vous arrêterez pour vous reposer.

Denis se gratta l’oreille en regardant sa nièce d’un air embarrassé ; Jeanne rougit pudiquement, baissa les yeux et répondit avec modestie :

— Messire, je prendrai des habits d’homme, si vous pouvez m’en procurer ; je ne les quitterai ni jour ni nuit[1] ; et d’ailleurs les gens de mon escorte voudraient-ils causer de la peine à une honnête fille qui se confie à eux ?

— Enfin, saurais-tu monter à cheval ?

— Il faudra bien que j’apprenne à chevaucher. Ayez seulement soin, messire, que le cheval ne soit pas méchant.

— Jeanne, — dit Robert de Baudricourt, après un moment de silence, — tu te prétends inspirée de Dieu ? envoyée de par lui pour faire lever le siége d’Orléans, vaincre les Anglais, rétablir le roi sur son trône ?… Mais qui prouvera que tu as dit la vérité ?

— Mes actes, messire[2]

Cette dernière réponse, prononcée d’une voix douce et assurée, impressionna vivement les deux chevaliers ; Robert de Baudricourt reprit :

— Ma fille, retourne chez ton oncle avec lui… avant peu, je te ferai connaître mes intentions.

— J’attendrai, messire. Mais, au nom de Dieu, si je dois partir pour aller devers le dauphin, que ce soit, je vous le répète, plutôt aujourd’hui que demain ; il faut qu’avant un mois le siége d’Orléans soit levé.

— Pourquoi tiens-tu autant à la levée de ce siége ?

— Eh ! messire, — répondit Jeanne en souriant, — je tiendrais moins à délivrer cette bonne ville, si les Anglais ne tenaient point tant

  1. Procès de réh., t. II, p. 436 à 439.
  2. Ibid., p. 80.