Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 9.djvu/74

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à la prendre ! … Le succès de la guerre est là pour eux ; il est aussi là pour nous ! …

— Eh bien, sire capitaine, — dit tout bas Denis Laxart, radieux, à Robert de Baudricourt, — me faut-il souffleter à tour de bras cette folle effrontée ?

— Non, car bien que visionnaire, c’est une brave enfant ! — répondit aussi tout bas le chevalier. — Du reste, j’enverrai le curé de Vaucouleurs l’interroger et, au besoin, l’exorciser dans le cas où il y aurait quelque sorcellerie là-dessous… Retourne chez toi… tu sauras bientôt ma résolution.

Denis et Jeanne sortent de la salle ; les deux chevaliers demeurent ensemble.


Lorsque Jeanne eut disparu, Robert de Baudricourt s’empressa de s’approcher de la table et se mit en devoir d’écrire, disant à Jean de Novelpont : — Maintenant, je pense comme vous ; je vais mander au roi cette étrange aventure et lui soumettre cet avis : qu’en l’état désespéré des choses, l’on pourrait risquer d’essayer de tirer parti de l’influence qu’exercerait sur l’armée, complétement découragée, cette jeune fille se disant inspirée, envoyée de Dieu ! La voyez-vous, docile au rôle qu’on lui ferait jouer, passant devant le front des troupes, revêtue d’une armure, et son beau visage sous un casque de guerre ? Les hommes se prennent autant par les yeux que par l’esprit ; je ne serais donc pas surpris si… — Puis, s’interrompant et s’apercevant que le sire de Novelpont ne l’écoutait pas, marchait de long en large dans la salle : — Jean, à quoi diable pensez-vous ?

— Robert, — reprit gravement le chevalier, — cette fille n’est pas, ainsi que je le croyais tout à l’heure, ainsi que vous le croyez maintenant, une pauvre visionnaire dont l’on peut se servir in extremis, comme d’un instrument, quitte à le briser s’il ne répond pas à ce qu’on attend de lui…