Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 9.djvu/96

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l’amour, le jeu, la table, la pêche, la chasse, se partagent ses instants, jusqu’à ce qu’il meure enfin d’indigestion !… mort savoureuse s’il en est !… Plus savoureux serait pourtant pour moi, mon adorée, de mourir entre tes bras !… Mais, dis-moi, pendant que le bon roi Jean jouissait ainsi paisiblement en Angleterre des délices de la vie, que faisait son fils, ce malheureux Charles V ?… Hélas ! chassé de Paris par une vile populace, révoltée à la voix de ce truand de Marcel (dont, grâce à Dieu ! la charogne fut jetée à la voirie), cet infortuné Charles le Sage, épouvanté des férocités de la Jacquerie, obsédé par les mille tracas de la royauté, brisé par les fatigues de la guerre, toujours chevauchant, toujours couchant sur la dure, ne dormant que d’un œil, faisant maigre chère, encore plus maigre amour, allant d’ici, de là, par monts, par vaux, soufflait d’ahan à force de courir après sa couronne !… Pâques-Dieu ! est-ce là de la sagesse ?…

— Du moins, il eut la gloire de reconquérir sa couronne ! et le plaisir de supplicier ses ennemis !

— Oh ! je comprends de reste le bonheur de la vengeance ! j’ai en abomination ces insolents Parisiens chasseurs de rois. Aussi, j’aurais demain en mon pouvoir cette cité maudite, que je ferais pendre les plus forcenés Bourguignons ; mais je ne rentrerais point dans ses murs, de peur de nouvelles séditions ! Charles V s’est vengé, a régné, dis-tu ? Mais à quel prix, ma belle ? Au prix d’angoisses, de fatigues, de guerres civiles incessantes ; tandis que son père, le bon roi Jean, vivait grassement, joyeusement, plantureusement, amoureusement, en Angleterre !…

— Vivre ainsi, oh ! honte ! tel serait ton désir ?…

— Désirer absolument ceci, m’opposer absolument à cela, en ce qui touche les affaires d’État, sont labeurs d’esprit dont je me garde scrupuleusement, comme de la reine ma femme ou du vin tourné ; La Trémouille et ses compères de mon conseil royal sont chargés de vouloir pour moi. Aussi, sans m’inquiéter de l’avenir, mon Aloyse,