Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 9.djvu/97

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je me laisse aller au courant, bercé dans tes jolis bras… Quoi qu’il arrive, je m’en ris !…

— Charles, est-ce parler en roi ?

— Foin de la royauté ! cuisante couronne d’épines ! Que tes blanches mains me tressent un chapel de myrtes, remplissent ma coupe, et je verrai gaiement crouler les débris de mon trône… De quoi prendrais-je souci ? Lorsque les Anglais auront conquis les provinces qui me restent, ne seront-ils pas satisfaits ? sauraient-ils se dispenser de me traiter non moins royalement que mon aïeul le bon roi Jean ? En ce cas, vivent le vin, la paresse et l’amour !… Si, au contraire, le Seigneur Dieu, dans sa maugréance contre moi, pauvre pécheur, m’a véritablement suscité cette enragée pucelle qui s’obstine à vouloir me rendre le royaume de mes pères, avec son escorte de tracas, d’anxiétés, de labeurs… ainsi soit-il !… que ma destinée s’accomplisse !… Mais, aussi vrai que voilà un savoureux baiser, ma charmante… je ne bougerai d’un pas pour assurer la réussite des projets de cette forcenée batailleuse ! D’où diable lui est poussée l’idée de se mêler de mes affaires ? Que ne restait-elle, pour mon repos, à garder son bétail ?

— Ainsi, Charles, tu as peu de foi dans ses inspirations ?

— J’ai foi dans tes yeux, ma belle, parce qu’ils tiennent ce qu’ils promettent ; quant à cette folle, si je n’étais chaque jour obsédé par les criailleries de gens qui, comme elle, ont plus que moi à cœur la royauté, j’aurais renvoyé cette bergère à ses moutons. Mais La Trémouille lui-même est d’avis qu’il est impossible de ne point céder à tant de clameurs. Les uns s’opiniâtrent à voir dans Jeanne un instrument divin ; d’autres, moins crédules, soutiennent cependant qu’en l’état désespéré des choses, l’on doit essayer de tirer parti de l’influence que ladite pucelle peut exercer sur les soldats. Je suis donc obligé de la recevoir aujourd’hui à la cour ; mais La Trémouille pense que ce pharamineux concile de matrones dont nous avons tant ri doit décider d’abord si cette belle fille (on la dit belle) possède