Page:Sue - Les Mystères du peuple, tome 7.djvu/79

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ils ont excité contre nous les chrétiens, ils ont outragé notre croyance, prétendant que la leur seule était vraie, et que Satan seul inspirait nos prières. Longtemps nous sommes restés patients ; mille fois supérieurs en nombre aux chrétiens, nous aurions pu les exterminer : nous nous sommes bornés à emprisonner, selon notre loi, ceux de vos prêtres qui nous outrageaient et semaient la discorde dans le pays ; alors vous êtes venus d’outre-mer par milliers, vous avez envahi notre pays, vous avez déchaîné sur nous les maux les plus affreux ; nos prêtres vénérés ont prêché la guerre sainte, nous nous sommes défendus, nous nous défendrons encore. Dieu protége ses croyants !

Le calme du vieil émir exaspéra les croisés ; il eût été mis en pièces, ainsi que son fils et ses compagnons, sans l’intervention de Bohemond, qui apaisa les seigneurs du geste et de la voix ; puis s’adressant au Sarrasin par l’intermédiaire de l’interprète : — Tu mériterais cent fois la mort, mais je te fais grâce !

— Je dirai aux miens ta générosité.

— Soit ! mais tu leur diras aussi ceci ; écoute bien : Le prince gouverneur de la ville et les seigneurs ont arrêté aujourd’hui dans leur conseil que tous les Sarrasins qui seront pris désormais seront tués et rôtis afin de faire viande de leur propre corps tant aux seigneurs qu’à toute l’armée[1]. Et pour te prouver la réalité de mes paroles, on va mettre ton fils en broche ; des hommes de bon appétit vont s’en régaler sous tes yeux. Ce festin terminé, toi et les tiens, vous serez libres et irez annoncer aux chiens d’infidèles de ta race le sort qui les attend !

Le prince de Tarente en parlant et agissant comme un cannibale suivait l’inspiration d’une politique atroce ; il savait l’horreur que ces repas de chair humaine inspiraient aux mahométans, qui professaient pour les morts un culte religieux. Aussi Bohemond espérait-il

  1. Textuel. Guillaume, archevêque de Tyr, Hist. des Crois., liv. I, ch. VII, p. 286. Ap. Mich.