Page:Sue - Les misères des enfants trouvés II (1850).djvu/202

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

taine amertume. Il allait désormais être pour ainsi dire mon maître, et pendant qu’il se croyait seul, je voulais tâcher de surprendre sur sa physionomie s’il était autre qu’il ne s’était montré à moi.

Assis devant une petite table, où il s’accoudait, l’instituteur avait son front appuyé sur sa main gauche, et de la droite il écrivait lentement.

Au bout de quelques instants, la plume sembla s’échapper de ses doigts ; puis, renversant sa tête en arrière, il resta ainsi, immobile, les deux mains crispées, violemment appuyées sur ses tempes, et, à ma grande surprise, je vis son visage baigné de larmes… Il tournait ses yeux vers le ciel avec une expression déchirante…

Mais bientôt Claude Gérard, essuyant ses pleurs du revers de sa main, se leva et marcha çà et là d’un pas précipité.

Curieux, inquiet, je suivais tous ses mouvements. Après s’être ainsi promené dans sa chambre, il s’approcha de la croisée ouverte, et ensuite d’un assez long silence interrompu par quelques profonds soupirs, il dit :

— Allons… ce pauvre enfant ne reviendra pas… il est perdu… je m’étais trompé…

Et la petite fenêtre se referma.

Mes défiances, mes sournoises arrière-pensées cédèrent encore une fois à l’attrait doux et austère que Claude Gérard m’inspirait. Afin de ne pas laisser soupçonner mon espionnage, j’attendis quelques instants avant de frapper aux vitres.

À peine y eus-je heurté timidement, que la fenêtre s’ouvrit.

Il me semble encore entendre l’exclamation de surprise, de joie, qui salua ma venue.

D’un bond je fus dans la chambre. Claude Gérard me serra sur son cœur avec un bonheur inexprimable.

— Dieu soit béni… — disait-il, — non… non… je ne m’étais pas trompé… Pauvre cher enfant… je t’avais bien jugé.

Mais il ajouta par réflexion :

— Et tes compagnons ? ton exemple n’a pu les décider ?

Je racontai à Claude Gérard l’inutilité de mes recherches et je lui