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Page:Sue - Les misères des enfants trouvés II (1850).djvu/203

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montrai en frissonnant le châle ensanglanté de Basquine et les trois pièces d’argent.

— Un crime a peut-être été commis, — me dit-il d’un air grave et pensif. — Demain, sans te compromettre comme complice du vol, je tâcherai de trouver le moyen d’éclaircir ce mystère… Calme-toi… mon enfant, et surtout repose-toi… des pénibles émotions de cette journée ; jette-toi sur mon lit… tu y seras mieux… je vais, moi, dormir dans l’étable… Tâche de dormir… demain, tu me raconteras le passé et nous parlerons de l’avenir. Allons ! bonsoir… Ton nom… quel est-il ?

— Martin… Monsieur.

— Martin ! — s’écria Claude Gérard en pâlissant… — Martin, — répéta-t-il avec une expression indéfinissable. — Et tu ne connais ni ton père ni ta mère ?

— Non, Monsieur… De plus loin que je me souviens, je servais d’aide à un maçon, et puis après j’ai été ramassé par des saltimbanques, que j’ai quittés il y a quelques mois, avec mes compagnons, pour mendier…

— J’étais fou… — dit Claude Gérard en se parlant à lui même. — Quelle idée !… c’est impossible… Mais ce nom… mais cet intérêt singulier que je porte à cet enfant… Allons, cet intérêt, je l’aurais ressenti pour toute autre malheureuse créature, prête, aussi, de tomber dans l’abîme… Mais ce nom… ce nom… il me semble qu’il me fera aimer cet enfant davantage encore.

Puis, s’adressant à moi :

— Ne te rappelles-tu aucune circonstance de… mais non, dors… dors… mon enfant… demain il sera temps de causer.

— Je n’ai pas envie de dormir, Monsieur, je suis trop triste.

— Eh bien ! raconte-moi comme tu le pourras, en peu de mots, mais bien franchement, ta vie jusqu’à ce jour.

Et je racontai tout, à peu près tout, à Claude Gérard ; je lui cachai seulement mon amour pour Régina.

Mon récit naïf, sincère, attendrit et irrita tour à tour mon nouveau maître ; il me témoigna l’horreur que la Levrasse, la mère Major, etc., etc., lui inspiraient, et le sort de Basquine le navra. S’il