Page:Sue - Les mystères de Paris, 4è série, 1842.djvu/62

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    ferme la porte, et le menuisier va se cacher dans son grenier. Le garde du commerce va chercher le juge de paix et un serrurier ; la porte de la chambre de la femme est enfoncée… la femme s’était pendue ! Le garde du commerce ne s’arrête pas à la vue du cadavre ; il continue sa perquisition, et trouve enfin le mari. — Je vous arrête. — Je n’ai pas d’argent. — En ce cas, en prison ! — Je vous suis ; laissez-moi dire adieu à ma femme.

    « — Ça n’est pas la peine ; votre femme s’est pendue, elle est morte… »

    « Qu’avez-vous à dire, M*** ? (ajoute le journal que nous citons) ; nous n’avons fait que copier votre procès-verbal d’écrou, dans lequel vous avez horriblement et minutieusement décrit cette épouvantable histoire. »

    Enfin le même journal cite deux ou trois cents faits dont le suivant est pour ainsi dire la moyenne :

    « sur un billet de 300 fr. de capital, un huissier a fait 964 fr. de frais. Le débiteur, ouvrier, père de cinq enfants, est en prison depuis sept mois. »

    Pour deux raisons l’auteur de ce livre emprunte ces citations au Pauvre Jacques :

    D’abord pour montrer que le chapitre qu’on vient de lire est, dans son invention, encore au dessous de la réalité ;

    Puis surtout pour prouver que seulement, au point de vue philanthropique, le maintien d’un tel état de choses (l’exorbitance des frais illégalement et impunément perçus par certains officiers publics) paralyse souvent les plus généreuses intentions… Ainsi, avec 1 000 francs on pourrait arracher à la prison et rendre à leur famille trois ou quatre honnêtes et malheureux ouvriers presque toujours incarcérés pour des sommes de 250 ou 300 francs ; mais ces sommes étant triplées par une déplorable exagération de frais, souvent les personnes les plus charitables reculent devant une bonne œuvre, en songeant que les deux tiers de leur libéralité doivent profiter aux huissiers et à leurs recors.

    Et pourtant il est peu de misères plus dignes d’intérêt et de pitié que celle des infortunés dont nous venons de parler.

    E. S.