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Page:Sue - Martin l'enfant trouvé, vol. 7-8.djvu/131

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sais, quoi qu’il pût en arriver, de rester dans le salon et d’écouter à travers la portière, afin de ne plus avoir aucun doute… — Les premiers mots d’un tête-à-tête qui suit un rendez-vous sont tellement significatifs ! — avais-je pensé ; mais l’ordre de la princesse rendait mon espionnage impossible, la pièce où je me tenais d’habitude étant séparée du parloir par un très-grand salon.

Je trouvai sur ma table deux lettres pour la princesse, apportées sans doute par le concierge pendant mon absence du salon d’attente ; je pris ces lettres avec une joie méchante. — Je pourrai du moins deux fois, — me dis-je, — interrompre leur doux entretien…

Je me réjouis d’abord en songeant que les portières étaient relevées, et que Just et Régina, sachant que je pouvais entrer d’un moment à l’autre, devaient souffrir de la gêne ainsi imposée à leurs épanchements ; mais je réfléchis que, pour deux amants, cette gêne même avait un charme irritant ; alors ma funeste tentation m’est revenue à l’esprit… En vain j’ai voulu la fuir… elle m’a dominé… Alors je l’ai analysée, pesée, envisagée sous tous ses aspects avec le sang-froid de l’homme qui médite le suicide… Puis, me révoltant de nouveau contre cette idée affreuse, je me suis levé ; j’ai marché, tâchant de calmer mon agitation… J’ai regardé la pendule. Ils étaient ensemble depuis une heure ! — Allons, — dis-je en prenant une des lettres récemment apportées : — Je vais les contrarier…

Et sans réfléchir que ma pâleur, que mon émotion pouvaient me trahir, j’entrai brusquement dans le salon, tenant la lettre à la main.