Page:Sue - Martin l'enfant trouvé, vol. 7-8.djvu/182

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une grosse blonde… en bonnet de police (un legs d’un invalide), qui avait l’air de te flamber les yeux ; tu te rappelles, on l’appelait la Loque, à cause de sa tenue. Tu en raffolais si fort que, dans ton raffolement, tu lui donnais ce nom que tu avais écrit un jour sur la table du cabaret… et il lui est, pardieu ! resté… à cette fille, mon Dieu oui,… dans l’établissement, on ne l’appelle plus la Loque, on l’appelle Régina.

J’avais frappé un coup terrible, mais juste et nécessaire.

Pour la première fois, j’en suis certain, le prince avait enfin conscience de l’ignominie de ses fréquentations et des indignes conséquences qu’elles devaient avoir. Car, ce dernier trait sous lequel je le laissai un instant anéanti, éperdu, était, sinon vrai, du moins tellement vraisemblable, qu’à l’expression d’angoisse et d’horrible honte que trahit la figure du prince il me sembla qu’il se disait :

— « Ai-je donc pu, dans mon ivresse, prostituer ainsi dans un lieu infâme le nom de la femme qui porte aujourd’hui mon nom ? Pourquoi pas ? j’ai bien écrit Régina sur la table d’un cabaret ! »

À l’accablement où était un moment resté plongé le prince, succéda un tel accès de rage que, me saisissant par le bras d’un côté de la table à l’autre, il me le serra violemment en s’écriant :

— Tu mens !… tu paieras cher cette insolence infâme !!

J’étais d’une force de beaucoup supérieure à celle de M. de Montbar, je le maîtrisai facilement à mon tour, et