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Page:Sue - Martin l'enfant trouvé, vol. 7-8.djvu/183

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presque sans bruit, lui serrant le poignet si rudement, que sa main abandonna mon bras.

Soudain un incident imprévu vint donner un nouveau cours, un nouveau caractère à mon entretien avec le prince.

Une rumeur d’abord sourde, puis de plus en plus bruyante, éclata dans le bal ; je tournai les yeux du côté d’où partaient ces murmures croissants ; je vis à vingt pas de nous l’horrible bergère que le prince avait rudement repoussée après avoir dansé avec elle. Cette créature, renforcée d’un assez grand nombre de personnages de sa trempe, vociférait et gesticulait en se dirigeant du côté où nous nous trouvions… Je compris aussitôt le danger dont le prince était menacé ; aussi, réellement effrayé, je m’écriai :

— La femme à qui vous avez refusé à boire, après avoir dansé avec elle, vient de recruter bon nombre de souteneurs… Regardez… ils s’avancent ; soyons sur nos gardes.

— Il ne s’agit pas de cela, — s’écria le prince, furieux, sans vouloir jeter les yeux vers l’endroit que je lui indiquais ; — il faut qu’à l’instant je sache qui tu es, misérable.

Me plaçant alors devant le prince, relevant la tête, changeant subitement de langage, de manières, affectant même les termes et les façons d’un homme du monde, imitation d’autant plus facile pour moi que, doué d’une grande faculté d’observation, j’entendais, je voyais, j’étudiais chaque jour à l’hôtel de Montbar, depuis plus d’une année, les manières d’être et de dire des gens les