Page:Sue - Martin l'enfant trouvé, vol. 7-8.djvu/200

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à l’état militaire. Plus tard, à dix-huit ans, j’eus envie d’entrer dans la diplomatie. Même réponse. — « Les bourgeois ont tout envahi. Est-ce qu’un prince de Montbar peut être l’attaché ou le secrétaire de M. l’ambassadeur je ne sais qui ? Allons donc ! dans ces malheureux temps-ci, un prince de Montbar qui se respecte vit dans ses terres six mois de l’année, voyage pendant deux mois, et habite le reste du temps l’hôtel de Montbar. » Me voilà donc oisif, sans carrière, sans avenir maintenant ! Savez-vous qui m’a achevé ? C’est mon vieil oncle, qui ne tarissait pas sur les bonnes parties que faisaient les grands seigneurs d’autrefois en allant à la Galiotte ou aux Porcherons, déguisés en manants… « C’était charmant, me disait-il, nous quittions notre poudre et notre épée pour endosser le bouracan du dernier gredin, nous trouvions aux Porcherons de fraîches petites commères que nous soufflions à leurs rustauds ; même quelquefois il fallait faire le coup de poings ; on tapageait, on se grisait, on s’encanaillait ; c’était charmant. Après avoir été Jean-Pierre ou Jean-Louis, nous redevenions M. le duc, M. le marquis, et, après avoir chiffonné le jupon d’une grisette, nous chiffonnions la jupe d’une duchesse. Ces contrastes étaient délicieux… » — Eh bien ! — reprit le prince, de plus en plus animé, — que voulez-vous que devienne un enfant de dix-huit ans, élevé ainsi, et maître d’une grande fortune, seul, sans guide, oisif, et ne comprenant malheureusement que trop l’espèce de charme bizarre, ignoble, stupide, soit, mais réel, du contraste de ces deux existences si extrêmes. L’une tout en haut de l’échelle sociale… l’autre tout en bas ? Eh ! mon Dieu !