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Page:Sue - Martin l'enfant trouvé, vol. 7-8.djvu/201

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il finit par se livrer à cette espèce de passion comme d’autres se livrent à la passion du jeu, et c’est ce que j’ai fait, car dans ces contrastes j’ai retrouvé les équivalents de ces alternatives de perte ou de gain qui sont la vie du joueur. Hier, de l’or ; aujourd’hui, la misère… Ainsi de ma passion à moi ! je sortais d’un bouge infect, peuplé de gens patibulaires, avec lesquels je m’étais enivré, et je rentrais chez moi, dans mon hôtel, où m’attendaient de vieux serviteurs respectueux. La nuit… de malheureuses filles en haillons m’avaient tutoyé… je leur avais plu, et le soir dans le monde, ma maîtresse, noble, jeune, charmante, parée de diamants et de fleurs, me disait aussi toi bien bas, à l’abri de son bouquet. Enfin, que vous dirai-je, au milieu de cette fête splendide, où j’étais venu en brillant équipage, au milieu de ce bal où se pressait la plus élégante aristocratie de l’Europe, je pensais, moi qui suis ici, parmi mes pairs, j’étais hier, à cette heure, mes vêtements boueux, attablé dans un affreux repaire avec des chiffonniers et le rebut des filles des rues. — Eh bien ! Monsieur, dites que cette passion est absurde, ignoble, dépravée, dégradante, soit,… mais au moins avouez que, sans l’excuser, on peut la comprendre, l’admettre, comme la passion du jeu… Eh ! Monsieur, si j’avais le goût de la crapule… pour la crapule… j’y passerais ma vie…

Et le prince s’interrompit un moment, tant son émotion était grande.