Page:Sue - Martin l'enfant trouvé, vol. 7-8.djvu/409

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— Cela n’a rien d’étonnant… moi aussi j’ai les mains froides, — dit Basquine, — tiens…

— Glacées aussi, — reprit Martin de plus en plus étonné.

— C’est tout simple, — dit tranquillement Basquine, — l’émotion…

— Pardieu, oui… l’émotion… — reprit Bamboche, et ses traits redevinrent calmes.

Malgré ces rassurantes paroles, Martin ressentit une angoisse vague, inexprimable ; il crut voir sur le front de la jeune fille des plissements brusques, convulsifs, comme si elle avait parfois lutté contre une vive douleur… et pourtant Basquine parlait avec une ironie froide et placide…

— Veux-tu, mon bon Martin, — reprit-elle après un moment de silence, — une dernière preuve de cette vérité : que notre enfance et notre première jeunesse à moi et à Bamboche ayant été viciées, gangrenées par d’horribles dépravations, nous sommes fatalement devenus incurables ?… c’est que j’ai au cœur autant de haine, autant de désespoir que lui.

— Toi… — s’écria Martin — toi, comblée de tous les dons de la jeunesse, de la beauté, de la fortune, du génie ! toi, dont la gloire retentit d’un monde à l’autre… Ah !… c’est blasphémer que parler ainsi ! Bamboche a du moins pour excuse l’atmosphère corrompue où il a été forcé de vivre ! Il a pour excuse la misère, l’avilissement, la honte de soi, le mépris dont on est abreuvé, implacables ressentiments qui, noyant le cœur de fiel et de haine, vous exaspèrent ; qu’il exècre ce monde qui l’a abandonné dès son enfance à toutes les fatalités du mal… il paie de