Page:Sue - Martin l'enfant trouvé, vol. 7-8.djvu/410

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sa tête le droit de le maudire, ce monde !! mais toi…… toi… qui, après une première jeunesse cruellement souillée, torturée, je le sais… es arrivée, en deux ans à peine, au comble de la fortune et de la renommée… toi… à qui ce monde prodigue l’or, les triomphes, les ovations, qu’il n’accorde pas même aux souverains… comment oses-tu parler de haine, de désespérance, lorsque tu ne devrais respirer qu’amour, mansuétude et reconnaissance ?

Basquine avait écouté Martin avec un calme sardonique, échangeant parfois un regard avec Bamboche qui, pour cacher peut-être ses douleurs, s’était accoudé sur la table, appuyant sur ses deux mains son large front, que parfois perlaient çà et là les gouttes d’une sueur froide…

Basquine dit en souriant à Martin :

— Ainsi… je te parais un monstre d’ingratitude envers ma brillante destinée ?

— Non… — reprit Martin avec une douloureuse amertume, — tu dois être si horriblement malheureuse… que je n’ai plus le courage de te blâmer…

— Malheureuse… oui… — dit Basquine de sa voix nette et tranchante, — oui, je suis malheureuse, autant et plus que je ne l’ai jamais été autrefois…

Martin n’ayant pu retenir un geste d’indignation pénible, la jeune fille reprit :

— Ainsi… tu crois, toi, qu’il suffit de quelques bouquets, d’un peu d’or, d’un peu de génie, d’un peu de renommée, qu’il suffit… de beaucoup de tout cela, même, si tu veux… pour purifier tout-à-coup-une âme