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Page:Sue - Martin l'enfant trouvé, vol. 7-8.djvu/411

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et un corps qui, pendant seize ans, ont traîné… dans toutes les fanges de la misère et du vice ?…

Martin regarda Basquine avec effroi… il ne trouva pas un mot à répondre ;… elle continua :

— Ainsi… parce que la foule m’aura crié bravo… parce que quelques grandes dames, quelques reines… m’auront dit : ma chère amie… vous êtes sublime ! parce que tous les hommes que j’ai connus, des plus obscurs jusqu’aux rois… m’auront dit ou écrit en résumé ceci : vous êtes belle, adorable… inimitable… voulez-vous que je sois votre amant ? tu crois que cela m’a empêché d’avoir été prostituée à huit ans… et deux ans plus tard, d’avoir été le jouet… la victime, et pis que cela (puisque je ne me suis ni enfuie, ni tuée), la complice des monstrueuses dépravations du duc de Castleby ?…

Martin, de plus en plus épouvanté, commençait d’entrevoir une partie de l’affreuse vérité… qu’il avait plus d’une fois pressentie ; mais cette vérité lui semblait si désespérante, qu’il s’était toujours efforcé d’en détourner sa pensée.

— Voyons !… crois-tu qu’il a suffi d’un bain d’or ou de la fumée de l’encens qu’on brûlait à mes pieds pour me purifier de telles souillures ? — reprit Basquine avec ce calme glacial qui rendait sa parole si poignante, — crois-tu qu’elle n’est pas corrosive, incurable, cette lèpre de l’âme que l’on gagne forcément en étant saltimbanque ? vagabonde ? voleuse ? chanteuse des rues ou figurante à dix sous ?… crois-tu que cela n’engage pas l’avenir que de livrer son corps sans amour, même sans désirs… car une dépravation précoce avait tué mes sens