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Page:Sue - Martin l'enfant trouvé, vol. 7-8.djvu/412

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avant même qu’ils fussent éveillés… et je n’ai jamais été qu’un marbre vivant.

— Oh mon Dieu !… mon Dieu !… ces révélations, c’est affreux.

— Tu m’as crue redevenue vierge peut-être, — continua la malheureuse fille avec son implacable ironie, — comme si tu ne savais pas que, belle, jeune, sans ressources, je devais être forcée d’abandonner mon corps aujourd’hui pour du pain, demain pour obtenir de coucher une nuit dans un garni, pêle-mêle avec des voleurs et des filles ? une autre fois pour obtenir du maître d’une taverne la permission de chanter dans son bouge, ou d’un directeur de théâtre la faveur de monter sur ses planches !… Et cela n’avilit pas… et à tout jamais ? Et l’atmosphère de la gloire, comme tu dis, suffirait à dissiper ces souvenirs qui vous rongent ? à vous faire faire peau neuve ? à vous faire suer cette lèpre ? Non ! non !

— Maintenant, — reprit Martin avec accablement, — je comprends…

— Et d’un pareil avilissement à la méchanceté, à la haine, au désespoir, y a-t-il donc si loin ? — s’écria Basquine en s’exaltant davantage. — Tu viens me parler de mansuétude, d’amour, de reconnaissance pour ce monde qui me couvre d’or, de bouquets et de bravos, parce que mon chant et ma figure charment ses yeux et ses oreilles. Que demain je sois laide et sans voix, qu’aurait-il pour moi, ce monde aujourd’hui à mes pieds ? dédain et oubli. Il m’a pris comme on ramasse une fleur sur son chemin, sans s’inquiéter si elle a poussé sur un sol vierge ou sur un fumier. La fleur fanée, on la jette avec indifférence.