Page:Sue - Mathilde, tome 2.djvu/253

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expression fugitive du désespoir qui m’avait une fois si vivement frappée, et qui un instant m’avait fait penser que sa conduite lui était imposée par la mystérieuse influence de M. Lugarto.

Je me trompais cependant en croyant que, pour être contraints et dissimulés, mes ressentiments perdaient de leur intensité ; je ne pouvais me confier à personne, je vivais seule, je n’avais pas d’amie, Ursule était loin de moi ; d’ailleurs j’aurais presque considéré comme un sacrilége toute récrimination contre Gontran.

Généralement l’on ne se plaint que pour faire excuser ses représailles ou pour faire montre de sa résignation.

J’aimais Gontran plus que jamais ; ma résignation était si naturelle que je ne pouvais songer à en tirer vanité.

Une douleur immense, solitaire, s’amassait lentement dans mon cœur. À mesure que cette douleur l’envahissait, j’éprouvais une sensation singulière. Je me sentais de plus en plus oppressée, comme si peu à peu l’air m’eût manqué. Je craignais qu’il ne vînt un moment où mon âme déborderait, où, malgré moi, je