Page:Sue - Mathilde, tome 2.djvu/339

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M. Lugarto : — Sans la crainte de vous causer une joie infernale je me serais déjà tué.

Hélas ! et moi, il oubliait donc que je lui survivais ?… Alors je me reprochai amèrement d’être comptée pour si peu dans la vie de Gontran ; je me reprochai de l’avoir pour ainsi dire mal aimé.

Ce n’était pas une vaine humilité de cœur, c’était conscience. Sans doute, j’avais toujours été pour lui dévouée, prévenante, soumise, passionnée ; mais j’avais sans doute mal employé ces nobles sentiments, puisqu’il pouvait mourir sans me regretter.

De ce moment, j’acquis cette amère conviction, née de l’amour le plus fervent et d’une profonde défiance de moi-même : — L’on a toujours tort de n’être pas aimée.

Je m’attachai de toutes mes forces à cette conviction, paradoxale sans doute ; j’employai toutes les ressources de mon esprit, toute la puissance de mon cœur à lui donner une irrécusable autorité.

Elle me permettait de m’accuser et de pardonner à Gontran.

Les femmes qui ont aimé avec cet aveugle-