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les destins

Le Mal, dont le vieux zèle avidement épie,
Pour le couver, chaque astre aspirant à la vie,
Dès avant son réveil et son premier matin,
Songe à lui composer le plus sombre destin.
Le Mal !… Renonce, ô Muse, à nous rendre sensible
Sous des dehors connus sa nature indicible ;
Hypocrite et divers, il se rit des portraits ;
En lui donnant un corps, tu le diminûrais,
Car il siège partout, se mêle à toutes choses ;
Persécuteur des lois sous les métamorphoses,
Fait de ruine, il est sans corps et sans contours.
Ne prête que le fil et l’esprit du discours,
Pour nous les dévoiler, à ses desseins occultes,
Et laisse la terreur, sombre mère des cultes,
L’incarner dans un monstre à face de démon
Sous quelque formidable et mystérieux nom.

Donc l’informe ennemi des mondes délibère,
Cherchant dans quel immense abîme de misère,
Dans quel parfait malheur, il va plonger aussi
Ce fragment de chaos à peine dégrossi.
Il fait dans sa pensée apparaître les choses
Avec leurs noms futurs avant que d’être écloses,
Et dans les avenirs possibles, mais confus,