Page:Sully Prudhomme - Œuvres, Poésies 1872-1878.djvu/255

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
243
les destins


« Oui, Nature, ici-bas mon appui, mon asile,
C’est ta fixe raison qui met tout en son lieu ;
J’y crois, et nul croyant plus ferme et plus docile
Ne s’étendit jamais sous le char de son dieu.

« Fais-moi crier longtemps, fais-moi crier encore,
S’il te faut ces cris-là pour ébranler aux deux
Quelque rayon vibrant d’une étoile sonore
Dans un chœur sidéral invisible à mes yeux ;

« Pour nourrir une fleur, de tout mon sang dispose,
Si quelque Beur au monde aspire un suc pareil ;
Tu peux tuer un homme au profit d’une rose,
Toi qui, pour créer l’homme, éteignis un soleil.

« Mille êtres par leur mort m’alimentent moi-même.
L’eau même que je pleure est faite à leurs dépens ;
Nature, c’est pourquoi j’approuve, sans blasphème,
L’emploi mystérieux des pleurs que je répands.

« Ignorant tes motifs, nous jugeons par les nôtres :
Qui nous épargne est juste, et nous nuit criminel.
Pour toi, qui fais servir chaque être à tous les autres,
Rien n’est bon, ni mauvais, tout est rationnel !