Page:Sully Prudhomme - Œuvres, Poésies 1878-1879, 1886.djvu/132

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Tous deux font l’un par l’autre un ensemble infini.
Si l’un, absorbant l’autre, eût franchi sa barrière,
Usurpant à lui seul toute l’immensité,
Ni terre alors, ni mer, ni coupole sereine
Du ciel, ni corps sacrés des Dieux, ni race humaine,
Rien n’eût, un seul moment de l’heure, subsisté ;
La matière disjointe, en poudre, éparse toute,
Par le grand vide irait vagabonde et dissoute ;
Ou plutôt, de tout temps diffuse et sans lien,
Ne se pouvant grouper, elle ne créerait rien.
     Et ce n’est certes point par conseil et génie
Que les germes entre eux se sont coordonnés ;
Ils n’ont point stipulé leur future harmonie ;
Mais de mille façons, mus, heurtés, combinés,
Ils explorent partout l’étendue infinie ;
Essayant toute sorte et de jeux et d’accords,
Ils parviennent enfin jusqu’à ces assemblages
Où se fixe créé le monde entier des corps,
Qui reste organisé pour un grand nombre d’âges
Dès que les mouvements ont trouvé leurs concerts.
L’eau des fleuves ainsi roule aux avides mers
Et les comble à grands flots, et les races pullulent
Florissantes, la terre au doux soleil mûrit
Des fruits nouveaux, les feux éthérés qui circulent
Vivent ! Mais il fallait que l’infini s’ouvrît
D’où jaillit la matière, abondamment offerte
À tous, en temps voulu, pour réparer leur perte.
     Comme les animaux privés de se nourrir
Défaillent amaigris, le monde doit mourir
Si par quelque motif, en détournant sa course,