Page:Sully Prudhomme - Œuvres, Poésies 1878-1879, 1886.djvu/133

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

La matière une fois le laisse sans ressource.
     Puis les chocs du dehors ne peuvent de partout
Tenir l’ensemble uni, comme qu’il se compose ;
Leur pression fréquente en maintient quelque chose,
Tandis que d’autres corps viennent remplir le tout ;
Mais cette pression, qu’un ressaut entrecoupe,
Laisse aux germes ainsi la place et le moment
De fuir, et de jaillir en liberté du groupe.
Il faut donc qu’il en vienne encore abondamment,
Et qu’à flots infinis la matière se presse,
Afin qu’aussi les chocs se succèdent sans cesse.
     Sur ce point, Memmius, prends garde et ne crois pas
Que tout, comme ils l’ont dit, tende au centre du monde,
Qu’ainsi de l’Univers l’équilibre se fonde
Sans chocs extérieurs, et qu’en haut comme en bas,
Tout tendant au milieu, rien ne se désagrège ;
Quelque chose aurait donc en soi son propre siège,
Et les corps lourds qui sont sous terre, montant tous,
Prendraient pied sur le sol à l’opposé de nous.
Comme on voit des objets les images dans l’onde,
Un peuple d’animaux, selon eux, vagabonde
Renversé, sans qu’il puisse au-dessous plutôt choir
De terre en ciel qu’ici nos corps n’ont le pouvoir
D’eux-mêmes de voler vers le céleste temple ;
Ceux-là voient le soleil, lorsque notre œil contemple
Les astres de la nuit ; avec nous tour à tour
Partageant l’heure, ils font leur nuit de notre jour.
     Chimères, dont l’erreur de ces fous était grosse,
Parce qu’ils ont d’abord pris une route fausse :
Il ne peut être au vide, au lieu sans horizon,