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foire aux chevaux qui se continue. Autrefois, dans les « bonnes années, » c’était l’occasion d’une série de fêtes qui duraient trois et quatre jours.

Vers 1825, quelques citoyens de Québec, qui sentaient le besoin de nous doter d’une fête nationale, voulurent introduire la mode de la Saint-Louis ; mais, après une dizaine d’années d’existence, cette nouveauté disparut — vers 1834, au moment où M. Duvernay fondait la Saint-Jean-Baptiste.

Les membres de la Saint-Louis, recrutés d’abord dans la classe commerciale, professaient une foi politique et nationale hostile à l’Angleterre, ou tout au moins, à sa manière de nous gouverner. Les ouvriers et les entrepreneurs du faubourg Saint-Roch s’y associèrent en grand nombre.

Il y avait aussi à Québec, vers 1820, un cercle de bonapartistes, la plupart nés en Europe et réfugiés ici après les guerres de l’empire. Les jours de fête, un ruban tricolore placé sur leur poitrine tenait suspendue une figure d’aigle éployée qui soutenait dans ses serres un médaillon d’argent portant au centre la tête de Napoléon couronnée de lauriers, avec ces mots autour : « Napoleon primus imperator et rex. Ubicumque felix. » Les nombreux serviteurs du grand capitaine, dispersés à cette époque dans les villes et les campagnes du Canada, furent mis à la gêne par le comte de Dalhousie (ennemi déclaré de Bonaparte), devenu gouverneur-général en ce pays.

On vient de le voir, les éléments constitutifs d’une fête nationale existaient parmi nous dès le commencement de ce siècle. Jusque là, notre race avait été presque seule à se partager le Canada : mais cette situation allait changer. Les Anglais apportaient la Saint-Georges, les Écossais la Saint-André, les Irlandais la Saint-Patrice. Cette dernière avait même été célébrée aux Trois-Rivières en 1776 par les troupes du congrès de Philadelphie. Quelque chose d’analogue devenait nécessaire parmi les Canadiens. Nos hommes politiques, de leur côté, cherchaient un moyen d’action de ce genre. On en a vu un exemple dans la tentative de la Saint-Louis. Il fallait un drapeau commun aux patriotes, un cri de ralliement. Tout était préparé pour cela. On attendait un homme qui sût donner le signal. Pour peindre ce moment décisif, disons un peu comme Boileau : « Enfin, Malherbe vint ! »


Enfin, Duvernay vint ! Son instinct admirable
Réunit la Saint-Jean sous la feuille d’érable.
L’industrieux castor tressaillit dans les bois,
De clocher en clocher chanta le coq gaulois :
« Nos institutions, notre langue et nos lois ! »


Car il nous semble que la chose est claire : à l’instar des citoyens de Québec, M. Duvernay cherchait à organiser une fête nationale. Il eut le coup d’œil plus juste en choisissant la Saint-Jean-Baptiste, déjà entrée dans nos mœurs, que la Saint-Louis ou tout autre patronage. Il en agit de même à l’égard des emblèmes et de la devise, que la coutume avait sanctionnés.