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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

qui aidèrent de tout leur pouvoir leurs amis les Français, on se trouva, le printemps venu, en possession de nombreuses pelleteries sur lesquelles Biencourt comptait pour relever Port-Royal. L’expérience acquise au sujet du climat, du logement, de la nourriture et du mode de voyager dans ces contrées nouvelles permit d’éviter les malheurs survenus dans les premiers temps de l’Acadie. La pêche ne fut pas négligée. Les hommes recueillirent dans les forêts des glands, des bourgeons, des chibens et autres produits du sol. « Dans la nécessité, écrit Lescarbot, Dieu a fait trouver des racines qui font aujourd’hui les délices de plusieurs tables de France, lesquelles, ignoramment, plusieurs appellent à Paris topinambours, les autres plus véritablement canada, car elles sont de là venues. » M. Ferland observe que, par ce passage, Lescarbot semble dire « qu’on a cru les topinambours originaires de la Nouvelle-Écosse et de la Nouvelle-Angleterre ; il ne paraît pas qu’on les trouve à l’état sauvage dans le Canada ; du moins on n’en rencontre pas dans le Bas-Canada. Suivant le père Biard, ces racines seraient celles de l’apios tuberosa ou noix de terre. » Cent quarante ans plus tard, les Acadiens réfugiés en France y introduisirent l’usage de la patate, ou pomme de terre, qu’ils paraissaient avoir cultivée depuis longtemps et qu’ils avaient dû tirer de la Virginie ou du Brésil ; Parmentier l’emprunta probablement d’eux pour la faire connaître à Paris.

Il est impossible de dire combien d’hommes restèrent avec Biencourt dans ces circonstances difficiles. Au moment de l’attaque d’Argall, les habitants étaient occupés aux travaux des champs sur le haut de la rivière Dauphine, à deux lieues du port, et ne tombèrent pas aux mains des Anglais. Plusieurs, assure-t-on[1], se dirigèrent du côté du Canada ; d’autres avaient pu s’embarquer pour la France sur les bâtiments de pêche qui fréquentaient constamment ces parages. Ce qui paraît certain, c’est que la petite colonie ne renfermait aucune femme, sauf peut-être Marie Rollet, épouse de Louis Hébert, si elle n’était déjà repassée en France.

Poutrincourt, ruiné par ses entreprises antérieures, n’en persistait pas moins à vouloir fonder un grand fief en Acadie. Pour cela, il sollicitait de tous côtés des secours et une protection bien rares à obtenir dans un pareil moment[2]. Il trouva enfin de l’aide chez certains marchands de la Rochelle qu’il intéressa dans le commerce de pelleteries ; puis ayant équipé un navire de soixante-dix tonneaux, il mit à la voile le 31 décembre 1613 et arriva le 27 mai devant Port-Royal, où il fut reçu comme un envoyé de la Providence. Les terres, ensemencées l’année précédente, promettaient de précieuses ressources à l’automne. La colonie, ravitaillée si à propos, reprit vigueur. En un instant on releva les bâtiments et tout revint à la vie.

Louis Hébert quitta l’Acadie, avec Poutrincourt[3], l’été de 1614 et n’y retourna plus ; car ayant rencontré (après la mort de Poutrincourt) en France Samuel de Champlain, celui-ci le persuada de le suivre à Québec.

  1. M. E. Rameau, dans Une Colonie féodale, et M. Pascal Poirier, dans une étude publiée dans la Revue Canadienne, 1874, ont habilement exposé l’histoire de l’Acadie française. Voir aussi Ferland : Cours d’histoire, I, 243.
  2. Voir livre de Poutrincourt, « étant encore en Suisse, » année 1614. (Lescarbot, édition de 1618, p. 654.)
  3. Voir plainte de Poutrincourt devant le juge de l’amirauté de Guyenne, à la Rochelle, le 18 juillet 1614, dans Lescarbot, p. 657.