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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

une seule chose le contrariait dans les plans du commandeur, c’était le choix qu’il avait fait de la Hêve, dont la situation resserrée et le territoire rocheux offraient aux cultivateurs peu de terrains fertiles ; souvent il présenta à ce sujet des observations judicieuses, mais inutiles ; l’excellence du port de la Hêve, sa plus grande proximité de l’Europe, et les relations faciles et fréquentes que l’on y entretenait avec les bâtiments de pêche dans la saison des morues, avaient primé toute autre considération dans l’esprit du commandeur.

« Port-Royal cependant, comme l’avait si bien jugé Poutrincourt, offrait des avantages beaucoup plus sérieux pour la prospérité agricole de la seigneurie et des censitaires : il y était resté quelques colons, les uns Écossais, comme nous l’avons vu, les autres Français datant de Poutrincourt, et mariés, autant qu’on peut le présumer, avec des Écossaises ou avec des filles métisses. Ces colons, bien que fort isolés et dénués de soutien, voyaient le produit de leurs cultures s’accroître sensiblement, tandis qu’il était facile de prévoir qu’à la Hêve les cultivateurs se trouveraient promptement à l’étroit, et hors d’état d’y poursuivre un développement suffisant dans l’avenir. Les débuts néanmoins furent assez satisfaisants : trois années ne s’étaient pas écoulées depuis l’établissement de la seigneurie, que déjà chaque famille subvenait à son alimentation par les produits de ses cultures et de son bétail, car on avait importé quelques animaux et dans toutes les fermes il y avait maintenant une ou deux vaches, quelques moutons et des porcs[1]. »

L’un des premiers soins de Razilly fut de créer des fiefs afin d’intéresser les seigneurs à l’établissement du pays. Latour reçut ses anciens postes du cap Sable et le bassin du fleuve Saint-Jean, où il construisit sans retard, à l’endroit appelé Jemsek, à vingt lieues de l’embouchure, un poste fortifié auquel il donna son nom. Denys eut en partage les côtes du golfe Saint-Laurent depuis la baie des Chaleurs jusqu’au détroit de Canseau, et il fixa son principal établissement à Chedabouctou, près Canseau. Latour fit la traite au fleuve Saint-Jean ; il installa peu de familles au cap Sable ; en un mot s’il agrandit ses anciennes opérations, il resta ainsi que ses hommes un traiteur et un coureur de bois. Denys ne colonisa guère ; il s’appliqua au trafic des fourrures, à l’exploitation du bois de charpente, du merrain et surtout à la pêche maritime. Ni Latour ni Denys ne contribuèrent à établir beaucoup de familles françaises ; s’il existe du sang sauvage dans les veines des Acadiens c’est à l’initiative de ces deux personnages qu’on doit le faire remonter.

En 1634, Claude de Razilly (frère d’Isaac) capitaine de la marine royale, obtint la concession de l’île de Sable, du port de la Hêve et de l’habitation de Port-Royal. Il paraîtrait que le fort de la Hêve fut élevé aussitôt après. Il était placé à la tête du port. Isaac Razilly y fixa sa résidence. C’est là, probablement, qu’il mourut.

La confirmation de la seigneurie de Jemsek (15 janvier 1635) porte : « À Charles de Saint-Étienne sieur de Latour, lieutenant général de Acadie — le fort de La Tour dans la rivière Saint-Jean — cinq lieues de front à la rivière sur dix de profondeur. »

  1. Rameau : Une Colonie féodale, p. 69.