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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

seigneurie pour y réfugier les peuples et les bestiaux ; avec cela les terres labourables sont écartées les unes des autres, et tellement environnées de bois, qu’à chaque champ il faudrait un corps de troupes pour soutenir les travailleurs. Le seul et unique moyen de faire la guerre était d’avoir assez de forces pour aller à l’ennemi en même temps par trois endroits ; mais pour y parvenir il faut quatre mille hommes et des vivres pour deux ans, avec quatre à cinq cents bateaux et tous les autres appareils d’un tel équipage, car, d’être comme nous sommes[1], obligés de vivre du jour à la journée, c’est ne rien faire de solide. Le roi n’était assurément pas disposé à envoyer en Canada le nombre de troupes que demandait le marquis de Denonville ; bien des gens étaient même persuadés dans le pays qu’il n’était besoin pour dompter les Iroquois que d’un peu plus de discipline dans celles dont il pouvait disposer ; et nous verrons, avant la fin de cette histoire, que si on n’en est pas venu à bout avec les seules forces de la colonie, c’est qu’on ne l’a pas voulu efficacement. »

De Chambly à Saint-François du Lac et de Contrecœur à Laprairie, les paroisses fondées depuis 1667, renfermaient sept cents âmes en 1681, soit tout près de deux cents familles, dont vingt-cinq seulement, selon M. Rameau, paraissent provenir de celles établies en Canada antérieurement à 1667, savoir huit de Québec et les autres des Trois-Rivières et Montréal. On peut supposer que le reste se composait des soldats de Carignan.

« Le système des engagés, dit M. Rameau qui a été en vigueur dans nos colonies d’Amérique, fut suggéré, avant 1660, par un avis du conseil à Québec qui, afin de parvenir à accroître la population, et de procurer au pays les ouvriers dont il avait besoin, proposa, dans un avis motivé, un ensemble de mesures qui, adoptées en France, devinrent la base du règlement des engagés. Chaque capitaine de navire qui se destinait pour l’Amérique, étant obligé de se munir d’un passeport spécial, qui était une sorte de faveur, on ajouta, comme condition générale à tous ces passeports, l’obligation de transporter en Amérique trois engagés pour un navire de soixante tonneaux, six pour un navire de cent tonneaux, etc. Les capitaines embarquaient ainsi des jeunes gens qui s’obligeaient à aller servir en Amérique pour trois ans, ce qui les fit appeler des trente-six mois, moyennant un salaire convenu et l’obligation de les nourrir et entretenir de vêtements. Arrivé à sa destination, le capitaine, pour s’indemniser des frais du transport et de l’équipement de l’engagé, cédait son contrat pour une somme qui variait selon la qualité de l’engagé, et suivant le plus ou moins de besoin que l’on avait d’ouvriers dans la colonie. Il fallait, pour que le capitaine fût bien couvert de ses frais, qu’il pût tirer, en moyenne, cent trente livres de chaque engagé — mais souvent il était obligé de les céder pour beaucoup moins, puisque, à diverses reprises, ils obtinrent d’être déchargés de cette obligation en versant soixante francs à la caisse de la marine pour chaque engagé qu’ils auraient dû transporter. Souvent, les capitaines, pour remplir sans grands dépens les obligations de l’ordonnance, prenaient des engagés incapables ou même des enfants. Les recensements nous montrent plusieurs engagés de dix à douze ans. En 1664, il arriva

  1. À cette époque (1720) les Anglais étaient devenus depuis quarante ans, une menace constante pour le Canada.