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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

Par cette note brève et toute militaire, M. de Catalogne expose le résultat de la paix générale (1697-1701) : « Les habitants qui, depuis longtemps avaient abandonné leurs champs, les reprirent ; chacun travailla à se bâtir dessus ; et les terres dont les héritiers avaient été tués furent remises aux domaines des seigneurs, qui les concédèrent à d’autres. »

Lamothe-Cadillac, qui s’était marié à Québec avec une Canadienne de la famille Guyon ou Dion-Dubuisson, paraît avoir été le premier à saisir les avantages que la paix de Ryswick offrait au commerce du côté de l’ouest[1]. Il obtint (1699) la permission de rétablir le poste du Détroit, et chose assez remarquable, la même année, un Anglais, Robert Livingston, proposa à son gouvernement de prendre possession du lieu, et d’y envoyer trois ou quatre cents Iroquois sous la conduite de deux cents blancs. Livingston voulait créer des coureurs de bois anglais, dans l’espoir de tenir tête à ceux des Français. C’était rêver l’impossible : on ne fait pas de coureurs de bois avec les éléments dont disposaient nos voisins. Rien dans le caractère anglais ou hollandais ne prépare un enfant à ce genre de vie, pour lequel nous sommes en quelque sorte formés, à cause de l’éducation sociale, l’humeur enjouée de la race et la surprenante facilité que nous avons d’apprendre les langues étrangères. D’ailleurs, le projet de Livingston roulait entièrement sur la traite des fourrures. Lamothe-Cadillac voulait à la fois fonder une colonie agricole, y appeler le trafic des grands lacs et le retenir dans la main de ses compatriotes. Il songeait à être seigneur à la façon des concessionnaires de l’Acadie. Débarqué à Québec le 8 mars 1701, au retour d’un voyage en France, ce gentilhomme enrôla des cultivateurs à la côte de Beaupré (le pays de sa femme) et des artisans dans les villes. Cinquante volontaires consentirent à le suivre de cette manière ; de plus, cinquante hommes qui se proposaient de faire le commerce ; le père Vaillant, missionnaire jésuite destiné aux sauvages, le père de Lhale, récollet, curé des colons, le capitaine Alphonse de Tonty, les lieutenants Duguay de Boisbrillant et Chacornade, et un autre officier : François Durocher de Marzac, fils de Jacob Marsac de Lobstrom. L’expédition partit de Lachine le 5 juin, remonta la rivière Ottawa, traversa le lac Nipissing, descendit la rivière des Français et s’arrêta au Détroit le 24 juillet, où fut commencé de suite le fort Pontchartrain. Les Iroquois, travaillés par les Anglais, protestèrent auprès de M. de Callières contre cette occupation.

En 1702 s’ouvrit la guerre dite de la succession d’Espagne, qui devait durer onze ans. Des troupes furent aussitôt concentrées à Lachine pour prévenir les attaques des Iroquois. Le marquis de Crisassy commandait à Québec ; l’ingénieur Levasseur fortifia cette place sous sa direction et leva les plans de tous les forts. M. de Catalogne construisit un fort à Bécancour et fit l’enceinte des Trois-Rivières. Comme d’habitude, les Français entrèrent les premiers en campagne. Le Neuf de Beaubassin, lieutenant dans les troupes, se plaça à la tête de quelques hommes, assembla les Abénaquis (1703), ravagea les côtes du Maine jusqu’aux portes de Boston et tua environ trois cents hommes. L’excès des maux réveilla l’énergie des Anglais, et vers l’automne ils massacrèrent un grand nombre d’Abénaquis ;

  1. En 1697, il commandait à Michillimakinac.