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HISTOIRE DES CANADIENS-FRANÇAIS

On lui reprochait surtout d’avoir abusé de son autorité militaire[1]. Acquitté le 15 juin 1705, il en appela au ministre, et après avoir comparu de nouveau, à Québec, on lui permit de retourner à son poste, mais il attendit des instructions de la cour avant que de se mettre en route. Tonty commandait au Détroit ; l’été de 1705 il fut remplacé par le sieur de Bourmont ; le 25 septembre de la même année M. de Laforêt devenait son lieutenant. La situation de la nouvelle colonie n’était pas rassurante. Géographiquement, ce lieu était la clef des lacs ; plus les Français s’y fortifiaient plus les Anglais s’ingéniaient à en détourner les tribus sauvages. En 1704, quelques-unes de celles-ci avaient comploté de brûler l’établissement. Tonty ordonna au sieur Bissot de Vincennes de frapper un coup sur les Outaouais, principaux instruments du complot et qui, depuis que Nicolas Perrot n’était plus là pour les contenir, se montraient très remuants. Cet acte de rigueur eut l’effet de reculer le danger, mais non de le supprimer. Par malheur, au lieu d’entourer le poste de colons et de militaires capables de se défendre, le gouvernement l’abandonnait à ses propres ressources. Selon l’habitude adoptée de longue date, du moment où quelqu’un de courageux et d’entreprenant avait planté en un certain endroit des palissades et bâti une habitation, le pouvoir pensait que tout était pour le mieux. Dans un temps ordinaire ceci eût pu suffire, mais en présence de l’opposition des Anglais une assistance intelligente et soutenue devenait nécessaire. On ne le comprit pas. M. de Vaudreuil lui-même fut du nombre de ceux qui se bornèrent à encourager l’idée de la traite sans vouloir développer cette colonie lointaine. En un sens, il avait raison, car le trésor était pauvre et nous étions en train, dès ce moment, de diriger plus de familles canadiennes vers l’ouest qu’il n’en était venu de France pour fonder le Canada. Toutefois, quant à occuper les grands lacs, il fallait en prendre les moyens ou ne pas s’en mêler.

La guerre en Europe amenait la guerre en Amérique. Voyant donc que les Outaouais secondaient les colonies anglaises dans les hostilités entre les Français et les Anglais, Lamothe-Cadillac, remis à la tête du Détroit en 1706, appela les Miamis, ennemis jurés des Outaouais. Cette démarche compliqua la situation : les Miamis étaient peu sympathiques aux Français. Dans une échauffourée, les Outaouais tuèrent le père de Lhale. Les Miamis devinrent incontrôlables ; Lamothe-Cadillac les rencontra et les battit.

L’une des premières terres concédées au Détroit le fut en faveur de François Fafard dit Delorme, d’après le systéme seigneurial du Bas-Canada. Lamothe-Cadillac avait le privilége de la traite des fourrures, le droit de distribuer des terres en censive et d’agir à cet égard comme gouverneur-général. Toute l’administration de cette nouvelle colonie était calquée sur ce qui s’était passé à Québec et aux Trois-Rivières dans le cours des soixante dernières années. Montréal, situé comme en dehors de la Nouvelle-France, paraît n’avoir contribué en rien au premier mouvement dirigé vers le Détroit. C’est de la côte de Beaupré,

  1. M. de Catalogne dit : « M. Lamothe-Cadillac, qui s’était brouillé avec M. de Vaudreuil, passait par Cataracoui, où commandait M. de La Corne, il y fut reçu avec le salut du canon, ce qui étant venu à la connaissance de M. de Vaudreuil, il envoya M. de Tonty pour relever M. de La Corne. »