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PAPINEAU ET SON TEMPS

Octave Crémazie a dit qu’ils éprouvaient « la douleur d’un enfant qu’on arrache à sa mère » et qu’ils se considéraient « exilés dans leur propre patrie ». C’est possible, mais dans une mesure restreinte, croyons-nous, car il est peu probable que leur chagrin ait été profond.[1]

Qu’il y ait eu des effarements, nous savons que la nature humaine s’y prête ; mais ce ne fut pas un sentiment aussi général que les hommes d’imagination le représentent. Toutefois, ce que l’on nomme le patriotisme, lequel était purement français, eut une heure terrible à passer, ne sachant pas ce que lui apportait la volonté du vainqueur. Un malaise général régnait naturellement par tout le pays.

L’inconnu du lendemain explique cette situation. Ne pas savoir ce que l’on va devenir est un état accablant, terrifiant. Passer aux mains de l’ennemi de la veille coupe les ailes de l’espérance. Se voir brusquement appelé à recevoir les ordres de l’étranger transforme notre existence. Être laissés seuls, loin de la mère-patrie, sans un mot de consolation, rend l’avenir bien sombre. L’idée d’un écrasement systématique s’offre à l’esprit. La résistance n’est plus dans les âmes. Il faut céder — céder à quoi ? au pouvoir qui va parler. C’est comme l’attente du jugement.

Pourtant, on se trompait : il n’y eut pas de malveillance de la part des nouvelles autorités. Les angoisses ont existé, néanmoins, vu l’incertitude où nous laissait cette déplorable cession, sans un mot de réconfort, sans une garantie consolante. Ah ! nous avons été bien abandonnés, et il ne nous resta que

  1. Voir Mélanges historiques, vol. 5, p. 86-92, sur les erreurs historiques de Crémazie.