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Page:Sulte - Mélanges historiques vol. 13, 1925.djvu/87

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PAPINEAU ET SON TEMPS

peuple, comme dans l’éloquence de l’antiquité. Sa verve, toute française, ne tarissait point ; il pouvait reprendre les divers éléments de son discours et leur donner une couleur nouvelle à chaque fois. Très respectueux de la langue, il ne s’oubliait jamais jusqu’à lui donner une tournure vulgaire. Ceci impressionnait énormément les esprits, même les plus obtus, car ils sentaient qu’ils étaient en présence d’un maître ou d’un être supérieur. Le feu de l’enthousiasme, une fois allumé, embrasait tout, allait d’un bout à l’autre du discours, restait dans l’imagination des auditeurs. Si, par contre, l’organisation bilieuse était touchée, ce qui arrivait dans l’énumération de certains griefs qui étaient comme une plaie ouverte au flanc de cet homme étonnant, l’ironie, le sarcasme, l’invective débordaient à pleine phrase, l’accent emphatique prenait le dessus, d’après la mode de son temps, il mordait et poignardait, retournait la situation, ramenait son auditoire palpitant d’une irritation à une autre et l’abandonnait soulevé, éperdu, épeuré.

Le système nerveux ne comptait en apparence pour rien dans sa personne. Il le dominait totalement. On sait que les gens nerveux ne produisent pas sur le public autant d’effet que les tempéraments sanguins, et cela se conçoit puisque les manifestations des nerfs sont un indice de faiblesse. Moins lymphatique encore que nerveux, Papineau était toute application, persistance et vigueur. On aurait pu attendre de lui qu’il fût rieur, gai, pétillant, mais il ne l’était pas. Son expression était plutôt solennelle ; néanmoins son amabilité en conversation le portait à la causerie légère, et il y déployait des ressources variées.