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OISEAUX VOYAGEURS.

gemmes qu’à des êtres animés. Sort cruel ! nous n’avons que des fusils de guerre.

La chasse nous offrirait une agréable distraction et, si elle était heureuse, modifierait un ordinaire d’une monotonie désespérante. Jusqu’ici nous avions eu d’excellent mouton, mais depuis trois jours il est devenu impossible de se procurer une bête à laine, grande, petite, grasse, maigre, de sexe masculin, féminin ou neutre.

Cheikh Ali assure qu’il s’est défait de la majeure partie de ses troupeaux, et ne peut distraire aucune tête de son cheptel ; le pâtre du gabr chante une chanson différente, qui se termine par le même refrain. M. Houssay, élu chef de gamelle, se désespère. Le matin il nous offre du poulet sokh (lisez : frit) et du pilau ; le soir du pilau et de la volaille au gros sel. Puis le lendemain c’est tout le contraire : on sert le soir le poulet frit et le pilau ; on réserve pour le matin le riz et la poule au pot. L’eau du Chaour est marécageuse, chargée de détritus organiques ; Marcel recommande de la faire bouillir, afin de détruire les germes malsains et les animaux visibles à l’œil nu. Je ne discute pas la mesure, elle est sage ; mais le goût de fumée combiné avec le parfum de la vase achève de rendre intolérable notre unique boisson. La privation de légumes verts se fait cruellement sentir ; si je m’écoutais, j’irais, en compagnie du vieil Ali, notre premier ouvrier — par ordre de date, — paître les chardons des crevasses.

Que penserait de moi Golab Khanoum, la belle-mère de Cheikh M’sel ? « Dévorer l’herbe des champs et laisser pousser ses ongles au delà de leur union avec la chair ! » Elle me prendrait pour une fille légitime de Nabuchodonosor, si tant est que Golab Khanoum ait jamais ouï parler du roi de Babylone.

12 mars. — Mauvaise journée, mauvaises nouvelles.

La grande tranchée C commence à s’approfondir. Après avoir déblayé les fondations d’épaisses murailles, derniers débris de la ville arabe qui couvrait encore les tumulus à la fin du douzième siècle, les ouvriers se sont enfoncés dans une terre dure, solide, d’une propreté de mauvais augure.

Malgré son peu d’intérêt, ce chantier est l’objet de mes prédilections. Sur le soir, Marcel est venu me rejoindre ; il tenait une feuille de papier rose dont la teinte gaie contrastait avec son visage sévère.

« Une lettre de Mozaffer el Molk. »

J’ai abandonné la tranchée pour un repli de terrain où l’on est défilé des regards indiscrets.

Voici la dépêche dans toute sa saveur :

« Monsieur,

« Les musulmans sont ignorants, incivilisés et hors de règle ; ils sont enfin une pierre d’achoppement pour l’avancement de vos travaux. En mon absence, il vous