Page:Susejournaldes00dieu.djvu/118

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
102
À SUSE.

« est très difficile, je crois, de diriger votre mission. Le tumulte des passions de la religion islamique causera peut-être un grand danger qu’il me sera impossible de comprimer.

« Il est bon de déposer à Dizfoul vos effets chez Mirza Abdoul-Raïm et de venir rester à Chouster auprès de moi.

« Après mon retour à Dizfoul, vous vous occuperez à vos affaires avec l’escorte, la force et le conseil du gouvernement.

« Tout à vous,

« Mozaffer el Molk. »

Compter sur les promesses de Son Excellence, supposer qu’elle viendra s’établir à Dizfoul tout exprès pour nous donner l’escorte, la force et le conseil du gouvernement, serait chimérique ! Il faudrait bien mal juger les fonctionnaires persans, toujours trembleurs et nonchalants, et se faire de singulières illusions sur le climat du pays. Dans un mois le soleil sera brûlant, quinze jours plus tard la chaleur deviendra intolérable, en mai il ne restera plus au gabr âme qui vive.

Suivre les conseils du gouverneur, lever les tentes, renvoyer les ouvriers si péniblement conquis, équivaudrait à une désertion, à l’abandon définitif des fouilles. Marcel et moi ne pouvons supporter cette pensée.

D’un autre côté, demeurer ici contre l’avis de Mozaffer el Molk, c’est exposer la mission à de graves dangers et assumer, en cas de malheur, une terrible responsabilité. Nous n’hésitons pas à jouer notre vie ; mais, avant d’engager l’existence du personnel placé sous ses ordres, mon mari veut consulter les intéressés. Rentrons.

Près des tentes nous attend Mirza Abdoul-Raïm.

Des faits de la plus haute gravité se sont passés à Dizfoul. Le lendemain de notre départ, cinq ou six cents sectaires, émus à la pensée que des chrétiens allaient souiller de leur présence le tombeau de Daniel, dérober le corps du saint prophète, transporter dans le Faranguistan ce palladium de la contrée, se réunirent dans les mosquées de la ville. Les défenseurs de la foi firent serment d’expulser de vive force ou d’immoler les infidèles, et prirent dans ce but le chemin de Suse.

Les uns étaient armés de mauvais fusils et de pistolets, les autres de lances, tous — ceci prenait un caractère sérieux — de frondes, qui dans la main des Dizfoulis deviennent redoutables. La troupe, dansant, hurlant, invoquait Ali et ses fils, les martyrisés de Médine et de Kerbela. Elle s’était avancée dans la plaine et avait franchi la rivière ; vingt kilomètres la séparaient de Suse, quand elle fut rejointe par deux cavaliers venus de la ville à franc étrier. C’étaient les fils de cheikh Mohammed Taher. Le cheikh, effrayé par la spontanéité de cette singulière croisade, leur avait enjoint de ramener les énergumènes.