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GUERRE SAINTE.

D’abord bafoués, traités de kafirs (mécréants), de haramzadès (fils d’impur), les jeunes gens réussissent cependant à se faire écouter. Les Dizfoulis consentent à regagner la ville, sous la promesse solennelle qu’une députation composée de seïds, de mollahs et des plus ardents promoteurs du mouvement ouvrira dès le lendemain une enquête sévère. Si les chrétiens ont violé le tombeau de Daniel, Cheikh Taher en personne conduira les justiciers et présidera au massacre des coupables.

De son côté, le vénérable religieux faisait appeler Abdoul-Raïm et l’interpellait sur notre étrange conduite : « On accuse les Faranguis d’avoir déjà ruiné le tombeau du prophète !

— Les prenez-vous pour des sorciers ? Partis hier dans l’après-midi, ils n’ont pu gagner Suse avant la nuit ; ils ne possèdent ni pelles ni pioches, puisque ces outils sont encore chez le forgeron chargé de les emmancher. D’ailleurs je vais les rejoindre et vous tiendrai au courant de leurs faits et gestes.

— Vous ne partirez pas seul, reprit le cheikh défiant ; seïd Hadji Houssein vous accompagnera et vous évitera la peine de revenir à Dizfoul. »

C’est ainsi que, le surlendemain de notre arrivée, sont apparus les turbans blancs et bleus, qui, après avoir constaté le parfait état du tombeau, nous ont fait subir un insidieux interrogatoire.

À la suite de cette échauffourée, un courrier volait dans la direction de Chouster. Mozaffer el Molk, qui avait dépensé toute sa diplomatie pour enrayer notre marche vers Suse ou éviter de se compromettre dans notre voisinage, priait les autorités civiles de Dizfoul de lui envoyer des rapports motivés. De la lecture de ces documents le Khan concluait au rappel immédiat de la mission française, exposée, sans autre rempart qu’une toile de tente, non seulement aux razzias des nomades, mais à la haine des fanatiques qui vont entreprendre leur pèlerinage annuel.

Ainsi s’expliquent la difficulté de trouver des ouvriers, les hésitations d’Ousta Hassan, les terreurs de Dor Ali et la fameuse communication rose.

Le courrier de Mozaffer el Molk n’est pas moins explicite que le mirza. Il assure avoir vu, en traversant Dizfoul, des groupes furieux assiéger les portes des mosquées. On ne nie pas que Daniel et sa tombe ne soient encore intacts, mais des infidèles et des sorciers ne sauraient être tolérés dans le voisinage des lieux saints.

Marcel soumit le cas à MM. Babin et Houssay, sans leur dissimuler la gravité de la situation.

« Quels sont vos projets ? demandèrent-ils.

— Ma femme et moi méprisons les menaces d’une population idiote et n’abandonnerons Suse qu’à la dernière extrémité. En cas d’attaque, nous essayerons de nous replier derrière la Kerkha et de gagner le territoire ottoman.