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À SUSE.

de Daniel lui-même paraît incapable de dégeler leur cœur. Quand un nomade a prononcé le nom d’Allah et invoqué l’assistance d’Ali dans un cas difficile, il se tient quitte envers le Créateur et ne perd pas son temps à discuter des questions théologiques.

On se plaint sans cesse des injustices du sort, des erreurs de la nature. Les œuvres du ciel sont parfaites. Dieu, je l’avoue, n’est pas prodigue de ses biens et n’allie pas souvent dans les mêmes créatures l’intelligence et la beauté, — ces deux qualités semblent même exclusives l’une de l’autre ; — il refuse parfois le plus grand de tous les biens, la santé, à ceux qui possèdent la richesse ; il ne donne pas toujours la conscience de leur bonheur aux heureux. Peines ou joies, faveurs ou maux sont également répartis. C’est ainsi qu’Allah dota les Loris d’une force et d’une vigueur peu communes et combla d’infirmités les Dizfoulis. Cependant les malingres, les chétifs, forment notre meilleur contingent, tandis que les colosses, lourds d’esprit comme de corps, semblent avoir deux mains gauches, cassent tout ce qu’ils touchent, détruisent sans s’en douter les indices les plus précieux, bûchent comme des sourds et, au demeurant, font la plus médiocre des besognes.

Restent les Arabes, qui, malgré le refus de Cheikh Ali et son mépris pour les travailleurs, envahissent chaque matin les tranchées du tumulus nº 2. Mœurs, caractère, costume, sont encore plus nettement tranchés que ceux des Loris.

Graves, courageux, emportés au point que leurs gros yeux roulant dans leur orbite et leurs traits contractés mettent en fuite les Dizfoulis, attachés à une personne bien plutôt qu’à un principe, plus inintelligents que les Loris, mais mentant, volant toujours avec noblesse, les Arabes ont le secret d’associer à chacune de leurs qualités le défaut opposé. Dans leur cœur, dans leur esprit se mêlent sans s’exclure les sentiments et les passions les plus contraires : ardeur au pillage et respect pour l’hôte, esprit de rapine et libéralité, cruauté froide et générosité chevaleresque. Indépendants d’âme et de corps, ils retournent le soir à leur campement, sans souci des fauves, des voleurs (les loups ne se mangent pas entre eux) et des fées malfaisantes qui parcourent les steppes. Plus sobres que les Dizfoulis, ils n’apportent même pas de pain et se nourrissent de quelques dattes mêlées aux chardons poussés dans les crevasses.

Tels étaient les Arabes des temps archaïques qui, sous la conduite d’Abraham, pillèrent l’arrière-garde de Koudour Lagamer, un des plus vieux rois d’Élam dont le nom ait bravé les siècles, tels ils furent sous les Sassanides quand ils lancèrent du Hedjaz ces cavaliers rapides qui s’essayèrent à la conquête du vieux monde en enlevant Ctésiphon et en dévastant les frontières de la Susiane, tels je les retrouve aujourd’hui. Jamais race ne fut moins abâtardie et n’aspira moins à la vie civilisée. Elle a même perdu les conquêtes morales qu’elle devait à l’influence de l’islam.

Plus de science, plus de littérature, plus de livres, mais des contes que les