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ARABES

vieux aèdes débitent le soir autour d’un feu dont la flamme fuligineuse tient lieu de luminaire, quelques traditions se rapportant à la généalogie et aux exploits des ancêtres. Les nomades reçoivent aussi la visite de baladins qui les distraient des plaisirs de la chasse ou du pillage, monotones à la longue. Dernièrement nous vîmes s’avancer vers le tombeau de Daniel, où elle allait faire une station avant d’atteindre les tentes de Cheikh Ali, une troupe de danseurs placée sous la direction d’un impresario de dure mine. Les cris des musiciens retentissent, le tambour cylindro-conique résonne, les violes monocordes grincent rageusement. Des jeunes gens, aux longs cheveux, revêtent des jupes féminines, dénouent les interminables manches de leur chemise et, saisissant des castagnettes de métal, improvisent une danse lascive, mêlée des pirouettes les plus inattendues. Les manches rasent le sol de leur pointe effilée, puis se déploient en blanches ailes au-dessus de la tête du danseur, les jupes tourbillonnent, les cheveux volent sur le visage ; derrière les nuages de poussière le garçon disparaît assez pour donner aux spectateurs de bonne volonté l’illusion de la danseuse.

Peu de grâce dans les mouvements, aucune mélodie dans cette musique criarde, mais un tableau brillant où se confondent les rubis des tarbouchs, les notes joyeuses d’hémisphères d’argent qui retombent en grappes sur les cheveux noirs, les ciselures étincelantes des boucles de la ceinture. Comme repoussoir, un cercle d’Arabes, la peau tannée, la couffè bleue retenue par la corde de poil de chameau, l’aba de laine brune jetée sur les épaules.

J’ai demandé à ces musiciens rébarbatifs de me laisser transcrire les vers qui, à la mode espagnole, accompagnent par moments le son des instruments. Fi les gens à courte imagination répétant la leçon apprise ! Les vrais fils d’Apollon n’invoquent jamais en vain le maître des Muses. Nos poètes improvisent suivant leur fantaisie, et la source divine coule toujours aussi abondante et aussi pure de leurs lèvres de bronze.

Voici pourtant quelques strophes saisies au vol.

« Tu m’es apparue en rêve, moins avare et plus docile que tu ne l’es en réalité.

« Que le matin ne peut-il s’éloigner et ne plus se montrer ! Que la nuit ne peut-elle se prolonger pendant mille ans !

« Si le sommeil pouvait se vendre, certes tu en aurais fait renchérir le cours parmi les hommes.

« Je t’ai vue dans mon sommeil ; il me semblait que je buvais sur tes lèvres un suave baiser.

« Ta main était dans la mienne et nous reposions sur la même couche.

« Au moment où je m’éveillai, ma main droite pressait tes mains et ta main pressait la mienne.