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GUERRE ENTRE LORIS ET SEGVENDS.

de Bénarès enroulés autour du cou et des épaules. Cette coiffure est maintenue par un mince bandeau de soie noire qui ceint le front et se noue derrière le crâne. Une ample chemise de perse à fleurs roses enveloppe un pantalon serré à la cheville et apparaît sous la veste de velours vert bordée d’une garniture de krans. Des bracelets, des colliers de verroterie, d’ambre, de corail et d’argent jettent quelques notes brillantes sur cette toilette.

Les traits sont réguliers, l’œil vif, la physionomie intelligente ; la conversation serait peut-être intéressante, si la belle visiteuse ne parlait un patois lori apparenté de loin avec la langue persane. Jetez un Champenois au milieu de paysans gascons, et il se trouvera dans une situation analogue à la mienne. L’une des parques du cortège daigne servir d’interprète.

Mme Papi Khan veut d’abord me corrompre ; elle me promet ses bijoux et des trésors plus enviables : juments, buffles, chameaux, moutons… bien portants, que sais-je encore ! si Marcel intervient à la tête des kolahé cefid (chapeaux blancs), dans le cas où les Segvends attaqueraient la tribu. Elle me parle ensuite de son fils, un gamin de douze ans, affligé d’une maladie démoniaque que je crois bien voisine de l’épilepsie. Les prescriptions des sorciers ont été suivies : l’enfant fume, boit de l’arac (eau-de-vie de dattes) malgré les commandements du Prophète, au point d’être gris tous les soirs. Thé, café sont à sa disposition, et pourtant la maladie empire chaque jour ; il ne se passe pas quarante-huit heures que le petit patient ne soit terrassé par d’effroyables convulsions.

Voilà bien de tes coups, ô médecine des nomades !

M. Houssay, déjà consulté par Mohammed Khan, avait conseillé de modifier cet étrange régime ; mais on s’était gardé de suivre ses avis.

Faute de bromure de potassium, j’ai ordonné du lait, du bouillon, des herbes cuites : cela vaudra mieux que des excitants. Me voici à couteaux tirés avec les sorciers du pays : malheur à moi !

Mes nouvelles amies ne sont pas restées inactives : ce soir les pantoufles de Marcel manquent à l’appel. En revanche, et bien qu’on ait battu sans ménagements le tapis que j’avais offert à ces dames, je suis dévorée par une fourmilière d’insectes. L’échange est une des lois économiques des sociétés primitives : les visiteuses ont emporté des chaussures, mais elles nous ont laissé un échantillon de ces parasites variés auxquels les nomades abandonnent leur corps. C’est une leçon : désormais ma tente sera sacrée.

26 mars. — Il était dit que nous ne fermerions l’œil de la nuit. Des appels déchirants se sont fait entendre dans la direction de la cuisine. Nous avons saisi les armes, toujours allongées à nos côtés, et poursuivi quatre ombres noires qui en voulaient aux casseroles. Ali, achpaz (cuisinier), tout tremblant, prétend avoir