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À SUSE.

sauvé, au péril de la vie, la grande marmite, son oreiller habituel ; ses cris, exhalés tandis qu’un Arabe lui arrachait ce moelleux coussin, nous ont éveillés.

« Si tu couches sur la marmite, ce n’est pas une raison pour y déposer tes cheveux, lui ai-je dit ce matin. Ce ne sont pas des égarés qui assaisonnent tes pilaus, mais d’inextricables écheveaux, horribles à débrouiller avec les dents.

— Toujours le même reproche ! » Et jetant son kolah de feutre, il découvre un crâne aussi chauve qu’une défense d’éléphant.

« Des cheveux ! où les prendrais-je ? »

Ces nobles paroles, ce geste sublime m’ont calmée ; mais je reste fort perplexe : à qui donc les emprunte-t-il ?

27 mars. — J’ai rendu dès l’aurore — c’est au désert l’heure correcte — la visite que je reçus hier.

Plusieurs Loris, venus à ma rencontre, m’ont escortée jusque chez leur maîtresse, bien que les deux campements ne soient pas distants d’un kilomètre. Tout en dévalant les pentes nord du tumulus qui dominent les brunes habitations des nomades, j’ai été frappée de la symétrie du campement. On croirait que chacun plante sa maison de poil de chèvre selon son caprice ? Erreur. Sur un point culminant, une tente plus haute que ses voisines : celle du chef. Des abris sommaires, de même forme, de même couleur, de même grandeur, s’alignent le long d’une rue dont la tente de Kérim Khan est le centre. Plus bas, et comme en avant-garde, le parc aux bestiaux. Les troupeaux de la tribu y sont rassemblés, mais séparés les uns des autres, afin de rendre plus efficace la surveillance de chaque pâtre sur le bien de tous et de prévenir les mélanges délicats à analyser.

Des chiens jaunes montrent leurs crocs formidables, ils reçoivent des mottes de terre en échange de leur salut, hurlent de douleur, s’enfuient et me laissent le passage libre. Je ne leur ai jamais demandé d’autre faveur. On m’introduit. Une grosse mère accroupie non loin de tisons qui enfument une cafetière de cuivre se lève — pénible travail — et me fait asseoir auprès d’elle. Saluez Bibi Mçaouda, femme légitime de Kérim Khan et belle-sœur de Papi Khan.

Il manque de confortable, le palais d’un grand chef nomade. Le toit et les murailles de poil de chèvre, disposés sur des bois tortueux et maintenus par des haubans accrochés à des piquets, embrassent un vaste espace divisé en compartiments. Les cloisons sont formées de tiges de ginérium assemblées dans un réseau de laines colorées qui réunit les brins et permet de les rouler quand vient le jour de déplacer le camp.

Ces séparations théoriques dissimulent des coffres de bois, agrémentés de peintures rouges, jaunes ou vertes et fermés par un grossier cadenas. Sur une natte sont jetés les lits et les couvertures des membres de la famille. J’inscris encore :