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À SUSE.

Omar, informé de ces détails, réunit ses officiers et leur demanda s’ils avaient jamais ouï parler de Daniel. Tous demeurèrent muets. Ali seul — que la bénédiction d’Allah soit sur lui ! — déclara que peighambar Danial (prophète Daniel) vivait en des temps très reculés, sous le règne de Nabuchodonosor.

Et Omar ordonna de respecter les reliques du prophète. Afin d’en assurer la possession aux Susiens, Abou Moussa détourna le cours d’eau qui arrosait la cité, déposa le corps dans le lit desséché, recouvrit le sarcophage de grosses pierres et rendit ensuite la rivière à ses anciennes berges.

Rien n’est inviolable en ce monde, pas même les tombes creusées dans le thalweg d’un fleuve. Au dixième siècle, Suse était encore habitée par six ou sept mille Juifs et possédait quatorze synagogues. L’une d’elles, raconte Benjamin de Tudèle, renfermait les ossements vénérés de Daniel. Sur la rive de l’Ulæus favorisée de ces reliques précieuses, vivaient des gens riches, heureux dans leurs entreprises ; l’autre côté du fleuve était la proie de tous les fléaux : la noire misère et la sécheresse aux bras noueux étreignaient le peuple. Les déshérités réclamèrent à leur tour le droit de posséder le saint. Cette faveur leur fut refusée. La guerre eût éclaté, si les rabbins, gens pacifiques et conciliateurs, n’eussent mis d’accord les belligérants en décidant que le palladium du pays serait transporté chaque année sur une rive différente.

Daniel faisait depuis longtemps la navette, quand Sendjar, le vainqueur de Samarcande, vint à Suse. Le sultan demanda le nom du personnage dont on promenait le cercueil en grande pompe et déclara de pareils déplacements attentatoires à la dignité d’un saint. Il ordonna de bâtir un pont sur l’Ulæus ; on mesura la distance des deux berges, et le corps, placé dans un cercueil de verre, fut suspendu sous l’arche centrale.

Depuis cette époque, chroniques et légendes ne font plus mention du prophète. Que dissimule la flèche blanche du sanctuaire actuel ? Recouvre-t-elle un de ces tombeaux honoraires que la piété des musulmans élève à la mémoire d’un homme juste ou pieux ?

Les mollahs de Dizfoul et de Chouster tiennent le gabré Danial pour parfaitement authentique, mais ce n’est point l’avis unanime du clergé de l’Arabistan. À cinq jours de marche de Dizfoul, dans le voisinage de Mal Amir, s’élève un second imam-zadé consacré au même personnage. Les Bakhthyaris le considèrent comme le meilleur. Je me garderai de trancher le différend ; j’aime mieux admettre qu’il existe un tombeau d’été et un tombeau d’hiver.

Cette année-ci, le bon, l’unique Daniel, le seul auquel la piété des fidèles s’intéresse, est le nôtre. Jamais on ne vit pareil élan de ferveur et de curiosité. Le saint nous doit un renouveau de sa vogue des anciens jours. Les pèlerins