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DANIEL ET SES TOMBEAUX.

arrivent en troupes nombreuses : hommes, femmes, enfants à cheval, à mulet ou à âne, les plus pauvres sur leurs propres pattes. Le commun des mortels s’emmagasine dans la cour ; les gens d’importance prennent possession des terrasses ; les derniers venus plantent leurs tentes au pied de la citadelle, sur un cimetière couvert de mauves arborescentes, qui doivent leur vigueur aux tristes débris qu’elles ombragent de leurs fleurs demi-deuil.

Les gens de Kérim Khan étaient de petits saints si on les compare à ces dévots.

Deux ou trois cents personnes arrivent toutes les semaines des confins de l’Arabistan ; il n’en est pas une qui ne s’ingénie à nous rendre la vie absolument insupportable. Dès l’aurore, et sans souci du prophète, — le saint homme aurait bien droit à quelques prières, — mâles et femelles, mollahs et étudiants encombrent les tranchées, distraient les ouvriers, et envahiraient même nos tentes, si nous n’avions organisé un cordon sanitaire chargé de maintenir les intrus à une distance respectueuse.

Marcel a bien essayé d’interdire aux pèlerins l’accès des chantiers, mais ils y sont venus plus nombreux que jamais, ont brisé les fragments de taureaux échappés à la rage des Loris et mis en pièces une cinquantaine de potiches funéraires qu’on allait photographier.

Nous ne pouvons traverser la vallée sans entendre siffler les pierres de fronde. Croisons-nous un groupe de pèlerins, des coups de feu tirés dans nos oreilles nous enveloppent de fumée. D’abord, je me retournais d’instinct ; nos tyrans paraissaient si réjouis, que je ne leur procure plus cette satisfaction. Sifflez, pierres et balles ! détonez, fusils ou pistolets ! les Faranguis sont sourds et invulnérables !

22 avril. — On signala ce matin le naïeb el houkoumet sur la route de Dizfoul. Il arrivait suivi d’une escorte de banquiers. Le sous-gouverneur, fort ému des menaces de Marcel, a prétexté du pèlerinage pour régler les affaires pendantes entre lui et le chef de la mission. Les fonds déposés entre ses mains nous seront incessamment remis. Tout est très bien qui ne finit pas trop mal.

23 avril. — De verte la plaine est devenue jaune, les herbes portent des épines au lieu de fleurs, la chaîne des Bakhthyaris montre des crêtes roses là où s’étendaient d’interminables glaciers. Il semble qu’en huit jours la nature entière ait été passée au four.

Après la disparition des dernières neiges, Suse deviendra inhabitable. Le motevelli fermera la porte du tombeau et se réfugiera dans son serdab (cave) de Dizfoul ; les nomades se rapprocheront de la montagne ou camperont sur les bords d’un fleuve ; fauves et sangliers, à l’exemple de l’homme, deviendront amphibies ; seuls les serpents, les scorpions et de monstrueuses araignées fréquenteront les