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À SUSE.

darde ses rayons de feu sur la toile transparente des tentes, la chaleur s’emmagasine à l’intérieur de ces abris comme autrefois l’humidité, et la température devient si haute, l’air si suffocant, qu’on ne peut y demeurer, sous peine d’étourdissements.

Nous ne souffrons pas seuls de la chaleur : les indigènes sont anéantis. Les outres d’eau, disparues dans leurs corps assoiffés, transsudent de leur épiderme en ruisseaux abondants, et comme ils dépensent, à jouer le rôle d’alcarazas, le peu de force que le ciel leur a départie, encouragements ou punitions se brisent contre une nonchalance d’autant plus invincible que le soleil ne nous permet pas de stationner tout le jour dans les tranchées. Le capar de la salle à manger est notre unique refuge ; c’est dans cet asile sauvage que chacun attend son tour de corvée. Après une absence de deux heures, l’infortuné revient, la tête congestionnée, les bras ballants, les jambes traînantes. Nous étions cinq à nous relayer ; Sliman a trouvé galant de faire l’esprit fort et de se moquer devant les ouvriers de « ce prophète de malheur qui fait tomber la pluie, confisque la lune et grille les gens pour achever de se faire aimer ». Le motevelli est venu supplier Marcel de rappeler ce faux musulman. S’il s’écartait du camp après le coucher du soleil, il serait infailliblement massacré. Mçaoud, chargé jusqu’ici de la garde du camp, remplace son confrère.

« Les ouvriers m’aiment beaucoup, est venu me dire l’heureux époux de la trop chic Aïcha. Cet imbécile de Sliman avait insilté li bon dieu des Arabes. Moi je leur z’ai dit : Li bon Dieu des Arabes de Kabylie, ce n’est « pas tout à fait li même bon Dieu qui cili des Arabes d’ici ; mais tous li bons dieux des Arabes est la même chose. » Et ils sont été bien contents.

— C’est parfait. »

25 avril. — Marcel et moi espérions profiter de quelques jours de répit pour visiter deux forteresses antiques qui défendent un défilé de la chaîne des Bakhthyaris. L’arrivée d’un courrier de Mozaffer el Molk a coupé les ailes à ce projet.

Comme tout bon cassed, le porteur connaissait le sens du message et en a donné cette traduction imagée aux ouvriers couchés autour des tentes :

« Les marauds qui continueront à travailler sous les ordres des Faranguis auront les oreilles coupées. »

Marcel n’avait pas perdu un mot de la conversation de la nuit ; dès l’aurore il faisait assembler les Dizfoulis et, sans leur laisser le temps de se reconnaître, leur intimait l’ordre de se rendre au travail : « Les poltrons n’ont qu’à se retirer. » Tous ont saisi pelles et pioches et pris le chemin du chantier.

« Les hommes qui ont peur ! s’est écrié Ousta Hassan demeuré sur nos talons, tous ont peur ! Et moi, leur chef, je suis plus épouvanté qu’eux tous.