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À SUSE.

ouvrier n’osera assembler deux planches. L’inquiétude qui nous accable est cruelle.

Marcel a perdu le sommeil dès le commencement du pèlerinage ; depuis plusieurs jours il ne mange plus.

Notre ordinaire n’a jamais été tentant, mais les chaleurs l’ont rendu pitoyable. La viande se décompose en deux heures, le mast (lait fermenté) se transforme en acide butyrique ; les chardons et les mauves, nos uniques légumes, rebuteraient des ânes.

Malgré son affaissement physique, Marcel a eu l’heureuse idée de faire tourner au profit de la mission la rapacité de Mirza Abdoul-Raïm et l’indélicatesse du gouverneur.

« Je vais écrire en France pour informer le gouvernement de mon prochain départ, dit-il négligemment au colonel.

— Confiez-moi vos lettres, elles arriveront plus tôt à destination, car je dois aller prendre les dernières instructions de Son Excellence.

— Profitez de votre passage à Dizfoul pour activer la fabrication des caisses et louer les cinquante mulets qui me sont nécessaires. »

Le mirza a souri ; caisses et mulets seront payés dix fois leur valeur : qu’importe, si le diable devient notre avocat ? Le soir même, le colonel emportait un rapport adressé à M. de Ronchaud. La rédaction de cette pièce nous a procuré quelques instants de gaieté.

Le chef de la mission annonce la ruine des espérances qu’avaient fait naître les premiers travaux. Seules les urnes funéraires ont une importance capitale, car elles servent de base à des études d’archéologie funèbre du plus haut intérêt. Il termine par un éloge dithyrambique des fonctionnaires persans et par un état détaillé des cadeaux, récompenses et décorations dont il convient de les accabler.

Si M. de Ronchaud prend cette épître au sérieux, il accusera le soleil de la Susiane d’avoir affolé mon mari ; mais si le gouverneur lit notre correspondance !

28 avril. — J’enrage. M. Houssay et moi, les deux autruches de la mission, gardons depuis quarante-huit heures une diète sévère pour cause de dysenterie. Je ne puis mettre un pied devant l’autre, et l’on vient de découvrir un nouveau lion dans le prolongement de la première tranchée.

Marcel, aidé de M. Babin, ne suffit pas à la surveillance.

Exécutés dans de pareilles conditions, les travaux ne sauraient être fructueux. Mon mari a décidé que cette attaque ne serait pas poussée plus avant. L’éboulis a été soigneusement recouvert, et les ouvriers ont déserté, avec bonheur, une tranchée exposée tout le jour aux ardeurs du soleil. Le temps est venu de tenir compte des conseils du gouverneur. Deux hommes se sont évanouis hier au fond d’une excavation ; le cabinet de consultation du hakim bachy ne désemplit pas. M. Houssay profite de la confiance de ses malades pour prendre des mensurations