Page:Susejournaldes00dieu.djvu/20

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
4
À SUSE.

saient un personnel de cinq cents passagers. Le commandement était confié au capitaine de frégate Nabona.

Au large le Tonkin trouva une houle si dangereuse, qu’il dut s’abriter au sud de la Sardaigne.

Dès que le temps devint maniable, nous mîmes le cap sur Philippeville, où nous allions prendre un convoi de mulets. La mer s’apaisa le lendemain ; le navire livrait ses larges flancs aux baisers de son inconstante maîtresse, les toiles pendaient molles le long de la mâture, pour la première fois le sourire s’épanouissait sur les lèvres des voyageurs. C’était la veille de Noël ; les officiers de troupe complotèrent d’organiser un réveillon. Le Tonkin contenait cinq cent mille kilogrammes de poudre, de la dynamite et du fulmicoton en telle abondance, qu’on avait dû remplir de matières explosibles l’hôpital et les cabines inoccupées. Il était dangereux de satisfaire au désir des passagers. Chacun se le tint pour dit : à neuf heures, le calme le plus parfait régnait dans les batteries.

Minuit sonnait. Quelle ne fut pas ma surprise en entendant crier : « Au feu ! » Un vieux médecin avait reconnu la sonnerie au poste d’incendie. Nous fûmes vite sur pied. Le feu envahissait la chambre des machines ; il avait pris naissance dans un tas de chiffons huileux oubliés auprès de la chaudière et gagnait les boiseries. L’un des chauffeurs, les vêtements enflammés, secouant des étincelles sur son passage, s’était jeté dans les batteries occupées par la troupe, provoquant une panique d’autant plus grande que, dès la première alerte, les portes de communication avaient été sagement fermées. Je laisse à penser quel était le diapason des hurlements poussés par les prisonniers.

« Si l’incendie est grave, me dit un officier de marine, passager à bord du Tonkin, le navire sautera avant dix minutes. »

Le fâcheux encombrement du pont paralysait la manœuvre des chaloupes ; quatre d’entre elles allaient être mises à la mer : quarante personnes, sur six cents, pouvaient à peine y prendre place. Aucun de nous ne s’émut plus que de raison : la mission de Susiane avait à remplir une tâche trop intéressante pour s’envoler dans la région des étoiles sous l’impulsion d’un paquet de poudre.

Les ordres, donnés avec sang-froid, furent exécutés avec précision ; vers une heure tout danger avait disparu ; le commandant regagnait son appartement, après avoir engagé les passagers à reprendre leur sommeil interrompu.

Le lendemain le Tonkin entrait dans le port de Philippeville. Nous ne manquâmes pas une si bonne occasion d’aller à terre et de dérober des oranges vertes dans un jardin mal gardé. Rien ne vaut les fruits volés ! Je déteste les oranges, même quand elles sont mûres : celles-ci me parurent divines.

Nous voici à Porc-Saïd, comme dit, sans malice, la femme d’un pharmacien. Le