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À SUSE.

— Pourquoi tenez-vous aux chiffons de papier qu’on vous expédie du Faranguistan ? Les seules lettres que je reçoive, les lettres du moutessarref, contiennent invariablement des demandes d’argent.

— Ils nous portent des nouvelles de nos familles.

— Mirza, écris : « Gare ! je vous le dis une fois, je vous le dis deux fois. Que personne ne frôle les porteurs de ce sauf-conduit et n’arrête les lettres adressées à ces Français. »

Cette pièce remise entre les mains de Marcel, nous avons suivi Lazem, chargé par son auguste père de nous promener dans le canal desséché qui divise les tentes de la tribu. Les brunes habitations des nomades se vident. Hommes, femmes, enfants curieux et indisciplinés se précipitent vers nous. Tous parlent ensemble, crient à tue-tête, dans l’espoir de se faire mieux comprendre ; le soleil rougit l’horizon et nous n’avons encore pu nous débarrasser de notre escorte.

Un dernier fils de M’sban, à peine âgé de sept ans, la peau brune, les cheveux indociles, le cou paré d’un cercle d’argent aux grosses pierres rouges, l’oreille gauche chargée d’un pendant en forme de huit, persiste à nous suivre et bondit comme un jeune faon. Mais… je reconnais la batiste cachée entre la chemise de Betman et sa petite poitrine ! Je saisis brusquement la pointe accusatrice. L’enfant allonge ses griffes pour la retenir : force reste à la loi et je reconquiers mon propre mouchoir. Les curieux prennent la fuite à tire-d’aile. Inspectons nos poches ; c’est un peu tard : elles ont été scrupuleusement vidées. Couteaux, mouchoirs, menue monnaie se sont envolés avec les larrons. Nous rentrons ; M’sban est radieux. Tout en se cachant de nous, Betman étale devant un père émerveillé le mouchoir que, de guerre lasse, je lui ai abandonné et divers objets prélevés sur les explorateurs de nos poches. « Tu es bien le digne rejeton de ma race, disent les yeux humides du vieillard reportés sur l’enfant : bon sang ne ment jamais ! »

Le jour tombe, des racines noueuses sont posées sur quelques charbons conservés dans la cendre, et bientôt une flamme claire, jaillissant sous le souffle d’un serviteur, dessine de sa lueur brutale les profils des Arabes groupés autour d’elle. L’assistance devient plus nombreuse dès la rentrée des troupeaux ; elle n’en est pas plus bruyante. Ce silence contemplatif présage son grave événement. Voici le pilau destiné aux chrétiens ! L’adresse des Faranguis jonglant, sans se blesser, avec des pointes de métal, a seule été capable de provoquer quelques témoignages d’admiration. Enfin arrive la montagne de riz réservée aux musulmans ; les yeux s’allument. M’sban plonge la main dans la pyramide, ramène les extrémités de plusieurs manches de gigot, enlève la chair et, avec une générosité sans égale, lance les os décharnés vers ses plus fidèles sujets, dressés