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ALERTE.

toujours une rude épreuve. Les chevaux se laissent glisser les premiers le long de la berge et se lancent dans les flots ; les chameaux se montrent récalcitrants ; les ânes, trop petits pour avoir pied, doivent être soutenus à bras d’homme. Enfin Faranguis et Persans, animaux et bagages, atteignent la rive.

Un dernier cavalier aborde : le guide imposé par Menchet auquel nous espérions échapper. Fellahyé est un vigoureux Arabe, très fier de ses longs cheveux nattés, bon diable d’ailleurs, mais élevé à l’école paternelle. Comme les muletiers déjeunaient, il s’est approprié, sans invitation, le meilleur de leurs provisions.

Deux heures plus tard les avaries de la caravane étaient réparées. Le soleil avait percé la brume et mis la joie au cœur des voyageurs ; les uns sifflaient, les autres chantaient ; le vieux mollah lui-même avait entonné un cantique où se confondaient pêle-mêle de pieux souvenirs et des espérances bien profanes. Cette paix était à la mesure des événements de ce monde.

Depuis la rivière, la plaine s’étend plate, sans un buisson, sans une herbe, et jaune comme un vieux concombre. Soudain des points noirs, se mouvant avec rapidité, se montrent à l’horizon. Un, deux, cinq, dix cavaliers ! Ils fondent sur nous de toute la vitesse de leurs juments rapides. « Dochmanha ! (Des ennemis !) » s’écrie Fellahyé. Les muletiers s’arrêtent, se groupent apeurés, se forment en masse compacte. On dirait qu’ils ont l’habitude de ce mouvement, tant ils l’exécutent avec promptitude. La défense du convoi nous regarde, car un vrai Dizfouli ne lutte pas avec des armes ; il lutte de vitesse : en cas de défaite, nos gens comptent sur leurs jambes de cerf. Ils sacrifieront leurs bien-aimés mulets et sauveront à ce prix une carcasse tout au plus bonne à régaler des corbeaux.

Sur-le-champ nous armons carabines et revolvers, puis nous nous portons en avant de la caravane. Le brave Jean-Marie descend de son baudet, saisit un gourdin, la meilleure des armes de guerre, assure-t-il, et prend place dans nos rangs. Les cavaliers approchent, nous ajustons, Fellahyé s’émeut.

« Par Allah ! ne tirez pas ! Ce sont des amis ! Je les reconnais ! Ne tirez pas ! » Et, enlevant sa monture, il se précipite au-devant des nouveaux venus.

Le chef de la bande s’arrête ; les deux Arabes se baisent à plusieurs reprises.

« Les Faranguis ne se laisseront ni surprendre ni intimider, dit sans doute Fellahyé ; ils se défendront et, comme ils sont bien armés, la mêlée sera dangereuse ; mieux vaut attaquer une caravane de bonne composition. »

L’Arabe, d’ailleurs très brave, aventure rarement sa vie dans une razzia. Si le butin doit être disputé à coups de fusil, son ardeur se refroidit.

Les ennemis viennent au petit pas nous tirer leur révérence. Les uns sont armés de mauvais fusils, les autres de lances de fer emmanchées sur de longs bois. Marcel