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À SUSE.

Des cris, des supplications retentissent. Je cours. Fellahyé, après avoir dépouillé plusieurs Dizfoulis, assomme le vieux mollah. Celui-ci défend ses maigres provisions et tâche d’attendrir l’Arabe. « Donne-moi ton riz ! » s’écrie Fellahyé ; et il lui cingle le visage d’un coup de gaule. À cette vue je me sens saisie d’une invincible colère ; je me précipite et j’arrache le bois des mains de Fellahyé. « Fermez vos besaces, ai-je commandé aux Dizfoulis, et ne donnez rien à ce brigand. Quant à toi, bourreau, je te défends de battre les gens de la caravane. »

Fellahyé se retourne, furieux comme une panthère blessée ; il dégage de sa ceinture un pistolet long d’une aune, je saisis mon revolver, et nous voilà tous deux en présence.

« Khanoum-Saheb, Khanoum-Saheb, ne lui faites pas de mal ! s’écrient mes pusillanimes protégés. Allah très grand ! que deviendraient nos mulets ?

— Vous vous mêlez de mes affaires ! rugit Fellahyé revenu de sa stupeur. Cette caravane m’appartient ; je vais chercher des amis et vous compterez sans l’aide de vos doigts ce qu’il en restera demain.

— Ah !… cette caravane t’appartient ! Viens la prendre ! »

Et je reste maîtresse du champ de bataille, tandis que notre guide enfourche sa jument et disparaît derrière la falaise. Les Dizfoulis perdent la tête et poussent des cris désespérés : « Fellahyé, ne pars pas, Khanoum te laissera prendre tout le riz du mollah ! Khanoum, priez-le de rester, sinon nous serons battus et volés ! Allah ! Allah ! Il part,… il s’éloigne !… » Ces appels éveillent l’attention de Marcel et de nos deux camarades ; ils accourent.

« Qu’y a-t-il ? demande mon mari.

— C’est la faute de Khanoum, qui a empêché Fellahyé de battre le mollah. » Et ils se mettent à pleurer : « Hi, hi, hi ! Il a dit qu’il s’emparerait de la caravane, hi, hi, hi… Saheb, montez à cheval, courez, rappelez-le, qu’il ne s’éloigne pas, ou nous sommes perdus !

— Êtes-vous fous ? Me prenez-vous pour un chacal ? Considérez ces armes et ces caisses de balles. Avez-vous été pillés hier, bien que vous vous soyez trouvés en présence de plus de vingt cavaliers ? »

Puis mon mari m’a conduite à l’écart. Quel sermon m’a valu mon accès de don-quichottisme ! Pouvais-je supposer que les Dizfoulis, comme la femme de Sganarelle, se plaindraient de n’être point assez battus ? J’ai dû laisser passer l’orage.

En croirai-je mes yeux ? Voici Fellahyé !

Comment ! il n’est point à la tête de trente brigands ! Il a bien mal employé son temps depuis une heure.